Un mythe universel fondateur, analysé par Agnès Echène, universitaire, chercheuse en anthropologie culturelle.
Parmi les terribles histoires de sang et de mort venues de naguère, la plus célèbre est celle de “Barbe-Bleue”. Dans ce conte, rien de magique : pas de baguette, pas d’ogre ou de prince transformé en crapaud, non ; à peine une “clé un peu fée”. Pour le reste, c’est la vie ordinaire qui est relatée ; ce récit pourrait être une nouvelle. C’est peut-être sa banalité qui rend l’intrigue horrible et terrifiante.
Tout le monde connaît cette histoire de meurtre conjugal racontée sous différentes formes dans tout l’espace indo-européen. Et son origine lointaine a peut-être même à voir avec les mythes les plus archaïques de nos sociétés occidentales. Comme la plupart des contes écrits, Barbe-Bleue vient de la tradition orale. On retrouve ce motif de l’époux meurtrier aussi bien dans les contes que dans les chansons, dont celles de la “maumariée” sont les plus connues. “Ce Barbe-Bleue vieux d’un passé écrasant” a de nombreux acolytes en France, de la Bretagne à l’Auvergne, mais aussi à l’étranger : le Caucase et les Balkans ont aussi enfanté de ces monstres à peau d’homme. Le pire de tous est certainement Comorre, le Barbe-Bleue breton, époux meurtrier de Triphyna. Mais la bande des tueurs est nombreuse et hétéroclite : les uns se déguisent en serpents, d’autres en loups, d’autres ne se déguisent pas du tout ; ce sont des brigands, des félons, des soudards. Les plus modernes ne sont pas les moins inquiétants : le Kekzakalu du “Château de Barbe-Bleue” écrit par Bela Balacz (à la veille de la Grande Guerre) pour Bela Bartok, inspire de la pitié à de nombreux exégètes qui le voient aux prises avec une redoutable “curieuse” qu’ils rendent seule coupable de l’élimination dont elle est victime. Ce retournement de culpabilité, propre à notre lecture moderne, occulte la violence du monde de Kekzakalu, ce monde sur lequel ouvrent les sept portes de son château, révélant chacune une horreur : meurtre, torture, prédation, conquêtes, destruction, pollution, désespoir. Cette vision de “globalisation” n’évacue cependant pas la violence “conjugale” de l’époux ; et nul secours, ni frère ni parent, ne surgit miraculeusement pour sauver la femme agressée, pour punir le mari violent. En cela, cette histoire n’a pas fini d’être moderne.
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SOMMAIRE
- MORTEL MARIAGE
- LE PARTAGE DES FEMMES
- L’AVENEMENT DE THANATOS
- MEME LE “OUI” EST MORTEL
- LA CAUTION DE LA MODERNITE
- UNE VIOLENCE IMPARABLE
- AU SECRET DANS LA CHAMBRE
- LA DECOUVERTE DES EPOUX
- LA RESPONSABILITE FEMININE
- PITIE POUR LE CRIMINEL
- UN OBSCUR DANGER
- LE TOMBEAU DE L’AMOUR
- LES PLEURS DES ENFANTS MORTS
- LE MEURTRE DES PREMIERS-NES
- UN PECHE ORIGINEL
- LE FOYER DE LA VIOLENCE
- LES PORTES DE L’ENFER
- LA CONFUSION DES VALEURS
- L’INFERNALE REVELATION
- LES PREMIERS MYTHES DU MONDE
- A LA BARBE DE DIEU
- UNE LOINTAINE VENGEANCE
- LE CHATEAU ENGLOUTI
- LA CHUTE DE LA MAISON DU PERE
- LA JOUISSANCE DU SANG
- LA FAMILLE ECARTEE
- LE SECOURS DES FRERES
- LA NEUTRALISATION DES PROCHES
- L’IMPUNITE MARITALE
- LES VIEILLES SOLIDARITES
- LE SOUTIEN DES FEMMES
- LE TOTEMISME EUROPEEN
- AVEC LES PIERRES DES RUINES
- UN COUPLE IDEAL
- L’AMOUR EXEMPT DU PACTE
BIBLIOGRAPHIE