Samedi 7 avril 2012, sur Vivre d’Abord, par Julien Wolga
…et revenir à la structure sociale et familiale naturelle : le matrilignage.
Le paradis perdu

Imaginez un monde paisible, où chaque nature est libre de s’épanouir selon son propre équilibre, sa propre harmonie, sans que cela ne nuise aucunement au groupe. Au contraire même : ces épanouissements individuels nourrissent la communauté, lui assurant une prospérité créative difficile à imaginer aujourd’hui.
Difficile à imaginer dans notre monde imprégné de violence, d’intrigues, de luttes de pouvoir et de lutte pour la survie…
Et pourtant : c’est peut-être ainsi qu’a vécu l’humanité entière jusqu’il y a quelques petits milliers d’années, une crotte de mouche à l’échelle de son évolution.
Cette paix n’était due qu’à une chose : le respect total de la Nature, comprenant la nature de chacun, et l’instauration de quelques règles de vie en société, notamment les Tabous*.
Aujourd’hui, c’est un fait, nous héritons d’une culture particulièrement dominatrice et anti-Nature, qui nous conditionne, utilisant jusqu’à la torture, dès notre naissance. Tellement dominatrice et anti-Nature qu’elle ne laisse de choix à personne que l’acceptation ou le rejet, et considère son opposition Nature/Culture comme universelle.
Chassez le naturel, il revient au galop !
Or, Wilhelm Reich nous l’a démontré : toute nature contrecarrée se trouve contrainte d’exprimer ses tendances naturelle interdites de manière pervertie, engendrant toute la violence et la misère dans laquelle vit la plus grande majorité du genre humain. Mais qu’est-ce qui, dans les faits, génère toutes ces perversions pathogènes auxquelles nous sommes confrontés ? Qu’est-ce qui rend l’animal humain, pourtant sociable par nature, aussi prédateur avec ses semblables, et aussi névrosé dans son quotidien ? Wilhelm Reich mit le doigt sur une fonction naturelle particulière, qui, si elle se voit réprimée, ne tue pas l’organisme humain (du moins directement et à court terme) comme l’alimentation, la respiration ou le sommeil: la Sexualité.
La répression sexuelle dénature le « bon sauvage »
Réprimer la sexualité dès l’enfance produit cet « avantage » : il maintient l’être réprimé dans un état de soumission à l’autorité, en empêchant l’équilibre autonome de se développer, le transformant facilement en objet échangeable. Mais il a ce gros inconvénient de transformer l’individu en être névrosé, agressif ou aboulique selon les méthodes** et les autres contraintes employées, multipliant la nécessité d’autres règles visant à contenir les réactions qui pourraient nuire au tissu social déjà mal en point.
Quelle alternative à l’aliénation du mariage ?
Libérer la sexualité s’avère donc primordial si l’on veut retrouver l’épanouissement naturel de l’humanité. Mais par où commencer ? Si Reich proposait de révolutionner la société sur les plans économiques, politique et sexuel (il a créé le mouvement Sexpol) ; et qu’il proposait de supprimer le mariage, il n’a pas envisagé la structure qui permettait de le remplacer (sinon les crèches pour prendre en charge les enfants et libérer ainsi les femmes)…
C’est là qu’intervient Agnès Échène, et probablement fallait-il que ce soit un esprit féminin qui vienne apporter la clef de voûte permettant aux travaux d’un Reich ou d’un Kienné de Mongeot de tenir debout et de trouver tout leur sens.
Décoder le renversement du matriarcat dans les récits anciens
Scrutant et analysant les récits anciens, elle met au jour une société différente : une société, une famille de type « matrilinéaire » violemment supplantées par la structure sociale et familiale patriarcale, apparemment universelle et aussi vieille que le monde (en témoigne la Bible judéo-gréco-chrétienne).
Elle décrypte dans les légendes celtiques ou les mythes antiques comment des peuples guerriers détruisirent à la fois la Nature et les peuples de paysans « alleutiers » (autrement dit « libres »), par le meurtre, l’enlèvement, le chantage et le viol, établissant le mariage forcé, réduisant ainsi les femmes, en esclaves contraintes de donner leurs enfants au mari et contraignant les époux forcés à prendre en charge des familles trop nombreuses.
Le mariage, un commerce des sexes, sur les aléas de sentiments éphémères
En effet ces sociétés ne connaissaient pas le mariage, ni son cortège de séduction, fidélité, serments amoureux, considérés comme parfaitement honteux, car il fait commerce des corps et des sexes, et parie sur la longévité d’un sentiment délicat et imprévisible. Ainsi, selon ce point de vue, le mariage et la prostitution ne sont pas ennemis, mais au contraire procèdent du même principe, l’un générant l’autre. Et par ailleurs, dans ces société, si le mariage n’existe pas, la prostitution n’a pas non plus lieu d’exister puisque…
Totem maternel & tabou de l’inceste
… puisqu’aucun frein n’est mis aux désirs amoureux de quiconque, laissé libre d’aimer qui bon lui semble. Aucun frein sauf un, extrêmement simple et cohérent, imposé par le système Totem/Tabou résumable à ces quelques mots : On partage ou le bol ou le lit, mais pas les deux.
Autrement dit, la sexualité, et même son évocation sont proscrites entre familiers, assurant à la fois la liberté de vivre ses amours en dehors de la famille, et sa discrétion absolue, ce qui est loin d’être le cas chez nous, où les amours sont criées sur les toits…
La famille organique mitochondriale
Et la famille ? N’est-elle pas disloquée par ces mœurs débridés, plongeant dans la misère femmes et enfants sans père-mari pour les soutenir ? Bien au contraire : Ce n’est pas la famille par alliance (où fils et/ou filles quittent leurs familles respectives pour fonder un nouveau foyer) qui prévaut, mais la famille organique, mitochondriale.
Le clan maternel, la famille élargie ombilicale
La mère, ses sœurs et ses frères, sa mère, ses tantes et ses oncles s’occupent tous de la progéniture des femmes, et se soutiennent mutuellement.
La famille ne s’en trouve pas amoindrie, mais au contraire renforcée, et les référents aussi bien féminins que masculins sont plus nombreux que dans la pauvre famille « nucléaire », bien fragile en comparaison. Car si les couples peuvent s’entre-déchirer, l’amour faisant défaut, ou bien les cultures se révélant incompatibles, au contraire les sœurs et frères ne divorcent pas ! Et d’autant plus si la nature de chacun est laissée libre de s’épanouir, ne donnant plus aucun besoin de partir de chez soi…
Les amants ne partagent que l’amour
Aucune Femme n’est liée d’aucune façon à ses amants, qui ne sont là que pour partager l’amour. Les enfants qu’elle met au monde ne les concerne pas : ils sont oncles des enfants de leurs propres sœurs et leur donnent toute leur attention. Ainsi, personne, absolument personne ne court le risque d’être laissé pour compte !
La structure pathogène du couple
S’appuyant sur les exemples existant (le peuple Na en Chine) ou ayant existé (les peuples trobriandais étudiés par Bronislav Malinowski dont Wilhelm Reich s’est inspiré), Agnès Échène va beaucoup plus loin encore et ose dénoncer le couple comme structure en soi pathogène et généralement destructrice (à lire : 1-Premier foyer de violence contre les femmes, le couple), et suite à ce constat, présente en deux autres courts textes l’alternative matrilinéaire, naturelle et paisible, propice à l’épanouissement optimal de chacun (2- Quelle alternative au patriarcat, et 3- Lien Familial et Lien Social).
L’utopie du couple
Car il est rare (et les quelques exceptions ne font que confirmer la règle) que l’Amour ne soit pas usé, voire même frustré quand il ne s’éteint pas tout simplement de lui-même par le quotidien… et la frustration génère même chez le plus doux des êtres, des réactions violentes, qui plus est dans un lieu où personne ne peut protéger celle qui fut son aimée mais qui aujourd’hui prend les coups. Le couple mélangeant dans l’ambiguïté le sexe et la famille, est propice également à toutes ces affaires incestueuses et pédophiles. Si certes, il existe des couples exemplaires (du moins en apparence), pourquoi continuer à s’efforcer de maintenir sans autre alternative que le tapin et la misère une structure pathogène pour la majorité des êtres humains ?
Les faussaires des sciences humaines
À travers ses autres textes: Arachné contre les modernes (8 pages), Médée ou la forfaiture du droit (37 pages), Mélusine ou l’élimination des Tabous (44 pages), Tristan et Iseut ou le désastre de la conjugalité (84 pages), Barbe-Bleue ou le couple mortel (57 pages), Perceval & le Graal chapitres 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 10 ( plus de 300 pages) et Déméter ou la voie de la mère), Agnès Échène n’hésite pas non-plus à s’en prendre à tous les tenants du patriarcat, et elle n’épargne personne (ce qui, à vrai dire, est assez jubilatoire) : Sigmund Freud et la psychanalyse diabolisant les mères, Claude Lévi-Strauss et l’ethnologie considérant comme universel le commerce matrimonial, Mircée Éliade et le symbolisme laxiste face à l’horreur, mais aussi les rites initiatiques dont la circoncision et l’excision, visant à casser violemment le lien d’amour naturel et retourner les enfants (abrutis) contre leurs familles, donnant naissance aux « bandes » et aux milices, pions des pouvoirs qui les créent et les manipulent…
Une guerre d’extermination du matriarcat
La transition des sociétés matrilinéaires aux sociétés patriarcales ne s’est pas faite en douceur, et comme pour toutes les conversions forcée, s’est réalisée sous la contrainte des armes, et dans le sang. Dans nos contrées par exemple, ce sont les barbares indo-européens qui soumirent par le fer et le viol les peuples des « fées », ces « hommes des bois » qui ne survivent dans les contes que sous la forme magique et/ou arriérée des nains et géants (de Gé, la Terre), monstres humains laids et difformes…
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« Marianne« |
L’échec des dissidences sociétales
Libertaires, Féministes, Pacifistes et bien entendu Naturistes doivent impérativement, sous peine d’échouer dans leurs prétentions de libération de l’humanité, prendre connaissance de ces travaux, car ils permettent de mettre en application la Liberté tant attendue, sans perdre les individus dans l’isolement et la misère matérielle et affective dans lesquels beaucoup d’entre nous sombrent aujourd’hui…
Je place volontiers, pour ma part, Agnès Échène, avec Wilhelm Reich, au panthéon de la démarche Naturienne, aux côtés de Kienné de Mongeot, Paul Carton, les Durville, Fougerat de Lastour etc…
Entretien avec Agnès Échène
Pour terminer, posons-lui une question qui peut nous aider à imaginer l’avenir que nous nous préparons, à nous et nos décendants :
Julien Wolga : Agnès Échène, vous nous démontrez la violence dans laquelle s’est produit ce passage d’une société matrilinéaire à un système patriarcal (il y a à peine plus de mille ans en Europe), et d’un autre côté, il nous paraît impératif de rétablir cette famille originelle pour l’avenir. Il serait tout à fait absurde d’opérer de la même manière en cassant les familles existantes pour en créer de nouvelles, quelles transitions pourrait-on imaginer afin que le retour se fasse en douceur et naturellement ?
Agnès Échène : Il y a deux tâches primordiales à accomplir :
La première incombe aux mères ; il est indispensable qu’au lieu de restreindre la liberté amoureuse de leurs filles, elles la soutiennent et l’accompagnent dans la plus grande discrétion possible. Les mères doivent aider leur fille à aménager leur chambre pour qu’elle puissent accueillir aisément leurs amants (un grand lit et un accès à la chambre le plus discret possible). Elles doivent aussi – tout en restant absolument discrètes – permettre un accès facile aux garçons que leur fille souhaite recevoir ; et leur faire savoir qu’ils ne sont pas invités à s’installer dans le logis familial. De cette manière, les filles pourront vivre leur sexualité sous la protection de leur famille et ne risqueront plus de se faire agresser ni dans leur chambre ni à l’extérieur. Mais il est impératif que les garçons se retirent du logis familial le matin avant que la famille se réveille de manière à n’indisposer personne par leur présence et à garder secrète leur relation amoureuse avec la fille de la maison.
La seconde tâche incombe aux hommes : ils doivent avant tout accepter de ne pas être les seuls amants d’une femme ; ils doivent ensuite renoncer à se vouloir « père » des enfants de leurs amantes. En revanche, ils doivent impérativement assumer les enfants de leurs sœurs.
Ce sont des « révolutions » que chacun-e est à même d’accomplir, mais c’est sans doute plus difficile que de descendre dans la rue.
JW : Merci Agnès Échène pour cette réponse, ainsi que pour avoir librement partagé ces découvertes révolutionnaires, et accessoirement pour avoir validé (et corrigé) ma tentative de résumer vos travaux et de répondre à cette question.
Je souhaite vivement que vos travaux se diffusent à travers les conscience pour les (r)éveiller !
*Le système de Totem et de Tabou est très simple et efficace : Le Totem est la famille organique mitochondriale, et le Tabou se résume en quelques mots : on vit dans le totem, mais il est interdit de faire l’amour au sein du même Totem, ainsi que de nuire à un membre du Totem. C’est tout, et c’est absolument suffisant !
** Les méthodes de répression sont assez variées : allant de la simple interdiction/punition/culpabilisation (morale ou physique), à l’atteinte corporelle telles l’excision et la circoncision, supprimant avec les organes enlevés les sensations reliées, et créant un véritable choc émotionnel dommageable pour l’ensemble de la communauté dans le psychisme de l’individu.
Publié par Vivre d’abord! (c)