Bronisław Malinowski – La vie sexuelle des sauvages du nord ouest de la Mélanésie – 1929

D’origine polonaise, Bronislaw Malinowski (1884-1942) fut professeur d’anthropologie à la London School of Economics, puis, aux Etats-Unis, à l’Université de Yale. Il est considéré comme l’un des pères de l’ethnologie moderne.

Source : le livre de B. Malinowski,  » La vie sexuelle des sauvages du nord ouest de la Mélanésie, description ethnographique des démarches amoureuses, du mariage et de la vie de famille des indigènes des îles Trobriand (Nouvelle-Guinée) « .

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Le noble sauvage, supérieur par rapport à la morale sexuelle

Bronisław Malinowski – La vie sexuelle des sauvages du nord ouest de la MélanésieTacite avait déjà fondé la conception du « noble » sauvage qui vivait dans les forêts de la Germanie primitive. Au XVIIIème siècle, les explorateurs et missionnaires français s’enthousiasment pour « l’homme primitif » lorsqu’ils découvrent les Amériques et l’Océanie et les mœurs et coutumes bizarres mais si gracieuses et fantastiques de leurs habitants. Diderot écrivit le « Supplément au voyage de Bougainville » pour montrer à ses contemporains à quel point les Tahitiens leur étaient supérieurs par rapport à la morale sexuelle. Bacon considérait que les questions sexuelles constituent la moitié de la connaissance. Freud  a lancé l’étude de l’instinct sexuel et de ses manifestations à travers les rites et les coutumes. Longtemps Freud estima que la répression de la sexualité dans la société patriarcale constitue le fondement de l’ordre social. Il fallut que Malinowski lui démontre que dans des sociétés primitives et matriarcales, la sexualité servait de fondement à l’organisation des communautés pour que quelques années avant sa mort, Freud, à Londres où Malinowski l’avait accueilli, revienne sur ses idées de répression sexuelle, sur le rôle de Thanatos et s’en tienne à une vision plus positive de notre existence humaine.

Introduction : (extraits du livre)

La sexualité domine tous les aspects de la culture

La sexualité implique l’amour et les démarches amoureuses, elle devient le noyau d’institutions aussi vénérables que le mariage et la famille; elle inspire l’art et constitue la source de ses incantations et magies. Elle domine, en fait, presque tous les aspects de la culture. La sexualité, dans son sens le plus large, est plutôt une force sociologique et culturelle qu’un simple rapport charnel entre deux individus.

Une source sacrée de plaisir

Les indigènes traitent la sexualité non seulement comme une source de plaisir mais comme une chose sérieuse et même sacrée. D’autre part, leurs coutumes et idées ne sont pas de nature à dépouiller la sexualité de son pouvoir de transformer les faits matériels bruts en d’admirables expériences spirituelles, d’entourer d’une auréole d’amour romanesque ce qu’il y a d’un peu trop technique dans les démarches amoureuses. Les institutions des Tobriandais sont faites pour permettre à la passion brutale de se purifier et de devenir un amour qui dure autant que la vie, de se pénétrer d’affinités personnelles, de se fortifier grâce aux multiples liens et attachements que créent la présence des enfants, les angoisses et les espoirs communs, les buts et les intérêts dont se compose la vie de famille.

Les règles de base

Le père ne procréé pas

La filiation chez les habitants des îles Trobriand est matrilinéaire : la descendance, la parenté et les relations sociales ont pour point de départ la mère. Ils ont pour idée que la mère serait le seul et unique auteur du corps de l’enfant, le père ne contribuant en rien à sa formation. Cela ne les empêche pas d’avoir uns institution du mariage bien établie. Le rôle social du père est secondaire par rapport à celui du frère de la mère qui lui descend de la même mère ( grand-mère). La vie d’un indigène des îles Trobriand se déroule ainsi sous une double influence : celle de la famille de sa mère dont il tire l’héritage et le pouvoir et celle de son père qui l’élève et le nourrit. Il n’y a pas d’équilibre entre l’influence de l’amour paternel et le principe matriarcal ce qui crée des tensions.

La rue appartient aux femmes, la place aux hommes

Le village est de forme concentrique avec deux anneaux : l’anneau intérieur se compose de maisons-greniers dans lesquels se trouvent les récoltes, l’anneau extérieur comprend les maisons d’habitation. Au centre se trouvent le terrain de danses, le cimetière, la cabane du chef et sa maison-grenier. L’arène centrale est la place de la vie et des fêtes publiques. La rue qui sépare les deux anneaux d’immeubles est le lieu de la vie quotidienne et domestique, elle appartient aux femmes alors que la place centrale est le lieu des hommes.

Un début de patriarcat source de conflits

Les femmes lors du mariage vont vivre dans le village de leur époux et les enfants devenus adultes doivent aller vivre dans le village de leur mère sauf si leur père a suffisamment d’influence pour les garder avec lui. Cette règle est la principale source de conflit car les pères tentent de garder auprès d’eux leurs enfants favoris. Une solution réside dans le mariage entre cousins, d’où des tabous sexuels et les prohibitions de l’inceste pour l’éliminer.

La femme, cheffe légale de la famille

L’administration des activités quotidiennes reposent sur les principes de l’égalité et de l’indépendance des fonctions : l’homme est la maître car il est dans son propre village et la maison lui appartient mais la femme (et son frère) est le chef légal de la famille. Le mari partage avec la femme les soins à donner aux enfants. Il caresse et promène l’enfant, le nettoie et le lave, le nourrit. Porter l’enfant sur les bras ou le tenir sur les genoux constitue le rôle et le devoir spécialement dévolus au père. C’est ainsi que nous découvrons dans l’intimité de la vie domestique un autre aspect de la lutte intéressante et compliquée entre la paternité sociale et émotionnelle, d’une part, et le droit maternel, légalement, explicitement reconnu, de l’autre.

La propriété personnelle est très importante ; mari et femme ont chacun des droits de propriété individuels sur certains objets et chacun doit veiller à l’entretien de ses objets. La femme ne doit pas être considérée comme une ménagère au sens européen du mot. Les biens immobiliers sont la propriété des hommes mais lors de l’héritage, il y a des arrangements. Les travaux les plus durs sont à la charge des hommes, certaines manipulations sont faites ensemble, ex : la préparation de certains ornements en coquillages.

Les deux sexes d’importances égales

Pour la persistance et l’existence même de la famille, l’homme et la femme sont indispensables aussi les indigènes attribuent-ils aux deux sexes une importance et une valeur égale. Lorsqu’il parle de sa famille, tout homme, à quelque clan qu’il appartienne, fait ressortir avec orgueil, comme un fait de grande importance pour sa lignée, le nombre de ses sœurs et de leurs enfants de sexe féminins. C’est la femme qui détient les privilèges de la famille mais c’est l’homme qui les exerce. L’idée du rang s’attache à certains groupes héréditaires, de nature totémique. Dans toutes les manifestations concrètes du rang, traditionnelles ou sociales, les deux sexes se trouvent placés sur un pied de parfaite égalité.

La Vierge Mère à l’origine des clans totémiques

Dans la riche mythologie à l’origine des différents sous-clans, une femme-ancêtre figure toujours à côté de l’homme (qui est son frère) et il y a même des mythes qui font remonter l’origine d’une lignée à une femme, sans l’assistance d’un homme. Une autre manifestation importante du rang est représentée par un système complexe de tabous auxquels l’homme et la femme doivent se soumettre, ex : ne pas manger tel aliment, ne pas boire tel eau, etc. Si la femme épouse un homme d’un rang inférieur, elle ne peut transgresser ses tabous, ex : elle aura sa propre alimentation. Le pouvoir du chef repose sur la polygamie mais les femmes ne jouissent pas du droit de polyandrie.

Exclue du pouvoir et de la propriété

La femme étant éliminée de l’exercice du pouvoir et de la propriété foncière et étant privée de beaucoup d’autres privilèges, il s’ensuit qu’elle ne peut prendre part aux réunions de la tribu sur la vie sociale. Par contre elle a son mot à dire et prend une part active à une certain nombre de cérémonie et de fêtes. Ceci est plus particulièrement vrai des cérémonies mortuaires qui sont les plus importantes par leur solennité et leur caractère sacré, ainsi que les plus imposantes par leur ampleur et leur mise en scène. Certaines fonctions qui précèdent l’inhumation, notamment l’affreuse coutume du découpage du cadavre, sont accomplies par des hommes.

La vie sexuelle des enfants

La république autonome des enfants

Les enfants jouissent aux îles Trobriand d’une liberté et d’une indépendance considérable. Ils sont émancipés de bonne heure de la tutelle des parents. Le plus souvent, lorsque les parents flattent ou grondent leurs enfants en leur demandant quelque chose, ils s’adressent à eux comme à des égaux. Ici on adresse jamais à un enfant un simple ordre impliquant l’attente d’une obéissance naturelle. Un des effets de cette liberté consiste dans la formation de petites communautés d’enfants, groupes indépendants qui englobent naturellement tous les enfants dès l’âge de quatre ou cinq ans et dans lesquels ils restent jusqu’à la puberté et cette communauté dans la communauté n’agit que conformément aux décisions de ses membres et se trouve souvent dans une attitude d’opposition collective aux aînés.

NDLR : Les enfants n’ont pas à subir un système de « coercition domestique » ou de « discipline stricte ». L’idée de voir un enfant « subir des châtiments corporels ou être autrement puni de sang-froid » par un de ses parents est considérée comme non naturelle et immorale, et lorsqu’elle est suggérée par des Occidentaux (un anthropologue par exemple), elle est « rejetée avec ressentiment ». Les demandes sont exprimées « comme d’égal à égal ; jamais dans les Îles Trobriand on n’entend un parent exprimer simplement un ordre, impliquant une obéissance naturelle, à l’adresse d’un enfant ». Il peut toutefois arriver qu’une personne se mette en colère et en frappe une autre « dans une explosion de rage », et ce aussi bien d’un parent à l’encontre d’un enfant que l’inverse.

Les enfants témoins des ébats des grands

Encore tous jeunes, les enfants commencent à comprendre les traditions et coutumes tribales et à s’y conformer. La liberté et l’indépendance des enfants s’étendent également au domaine sexuel. En premier lieu, les enfants entendent beaucoup parler de choses se rapportant à la vie sexuelle de leurs aînés et assistent même souvent à certaines de ses manifestations. A la maison, aucune précaution particulière n’est prise pour empêcher les enfants d’assister en témoins oculaires aux rapports sexuels des parents. J’ai souvent entendu faire l’éloge d’un petit garçon ou d’une petite fille dans ces termes : « C’est un bon enfant : il ne raconte jamais ce qui se passe entre les parents ». Une petite fille peut accompagner son père à la pêche au milieu d’hommes nus et écouter les discussions des hommes. Aucune gêne ou honte ne s’installe à condition que cette petite fille ne raconte rien à sa mère ou aux autres filles. Par contre un petit garçon a moins de relations semblables avec sa mère ou ses sœurs car il y a le tabou de l’inceste.

Le plaisir sensuel et romantique, une distraction enfantine

Les enfants s’initient les uns les autres aux mystères de la vie sexuelle et cela d’une manière directe et pratique, et dès l’âge le plus tendre. C’est uniquement le degré de leur curiosité, de leur maturité ou de leur tempérament ou sensualité qui décide de leur plus ou moins grande propension aux distractions sexuelles. Le plaisir sexuel ou, tout au moins, sensuel, constitue, sinon la base, du moins un des éléments des distractions enfantines. On constate dans le jeu des enfants, un sens aigu du singulier et du romantique. Les petits garçons recherchent des animaux, des insectes, des fleurs rares qu’ils offrent aux petites filles, imprimant ainsi une certaine esthétique à leur sensualité précoce. Fréquemment la petite république se divise en deux, les garçons et les filles se séparent pour jouer chacun de leur côté.

La vie amoureuse de l’adolescence

La maison des célibataires

Vers 12 à 14 ans, un garçon atteint une vigueur physique qui accompagne la maturité sexuelle et son développement mental est suffisant pour qu’il puisse prendre part d’une manière ponctuelle et parcellaire aux activités économiques des aînés. Il reçoit alors un statut particulier et porte la feuille pubienne. La petite fille portait déjà la jupe en fibre, elle cherche désormais à la rendre de plus en plus élégante et ornée. Une rupture partielle de la famille se produit à cette phase. Frères et sœurs doivent se  séparer en vertu du tabou. Les garçons doivent quitter la maison de leurs parents afin de ne pas les gêner dans leur vie sexuelle, ils rejoignent une maison de célibataires ou de veufs. Les filles vont aussi dans une maison habitée par une personne veuve. Les adolescents forment un autre petit groupe de garçons et de filles. Le groupe est divisé en deux sections correspondant aux sexes.

Excursions libertines

Bien qu’ils soient davantage attachés les uns aux autres au point de vue amoureux, il est rare qu’un adolescent ou une adolescente se montre ensemble en public ou en plein jour. Les deux sexes s’arrangent des parties de campagne et des excursions, et au plaisir qu’ils retirent de leurs rapports réciproques s’ajoute celui que procurent de nouvelles expériences et l’élégance du cadre. Ils nouent également des relations intersexuelles en dehors de la communauté dont ils font partie. Toutes les fois qu’a lieu dans une localité voisine une de ces fêtes cérémonielles qui autorisent une certaine liberté de conduite et d’allure, jeunes gens ou jeunes filles s’y rendent en bande (jamais jeunes gens et jeunes filles en même temps, car ces occasions de s’amuser ne s’offrent jamais pour les deux sexes à la fois).

De l’amour passion au mariage dans le libertinage pudique

Les adolescents se rencontrent dans leur maison de célibataire ou ils aménagent un coin dans une maison-grenier avec un lit confortable. Ces arrangements sont à présent d’autant plus nécessaires que les relations amoureuses, qui n’avaient été jusqu’alors qu’un jeu, sont devenues une passion. L’amour devient passionné, tout en restant libre. Les relations sont nées des jeux et de l’intimité infantile, ils se connaissent intimement mais ces sentiments s’enflamment maintenant au cours de certains divertissements sous l’action enivrante de la musique, du clair de lune, de la gaieté et des habits de fête de tous les participants. Ainsi le jeune homme et la jeune fille se trouvent transfigurés aux yeux l’un de l’autre. Avec le temps et avec l’âge, leurs intrigues durent plus longtemps et les liens qui les rattachent les uns aux autres se font plus solides et plus permanents. On voit alors naître et se développer une préférence personnelle qui peu à peu fait reculer à l’arrière-plan toutes les autres affaires amoureuses. Cette préférence peut avoir sa source soit dans une passion sexuelle véritable, soit dans une affinité de caractères. Des considérations pratiques ne tardent pas à intervenir et, à un moment donné, l’homme commence à songer à stabiliser par le mariage une de ses liaisons. Dans les conditions normales, tout mariage est précédé d’une période plus ou moins longue de vie sexuelle en commun. Ceci constitue une preuve de la profondeur de leur attachement et du degré de compatibilité de leurs caractères. Cette période d’épreuve permet aux futurs époux et à la famille de la femme de faire les préparatifs matériels du mariage. Durant cette période, aucune obligation légale n’incombe ni à l’une ni à l’autre partie. L’homme et la femme peuvent s’unir et se séparer à volonté. Les partenaires n’ont pas encore renoncer totalement à leur liberté personnelle. Lors de certaines fêtes qui favorisent la licence, les fiancés se séparent, chacun faisant à l’autre une infidélité avec un partenaire de passage et cela en toute discrétion. En dehors de leur cohabitation nocturne, l’un et l’autre doivent toujours se montrer ensemble et étaler leur liaison en public. Toute déviation de celle-ci doit être décente, c’est à dire clandestine.

Qui partage le même lit ne partage pas le même bol

Cette préparation au mariage trouve son appui sur une institution fort importante : la maison de célibataire à usage restreint. Dans chacune de ces maisons, un nombre limité de couples, deux, trois ou quatre, peut séjourner pendant une période plus ou moins longue dans une communauté quasi conjugale. A l’occasion, ces maisons peuvent servir d’abri à des couples plus jeunes désirant passer une heure ou deux dans une intimité amoureuse. Les couples se sont engagés dans une démarche intime, ils se doivent de respecter les autres couples et il n’y a donc pas d’échanges de partenaires. D’autres part, les couples ne s’y retrouvent que pour la nuit, faisant l’amour discrètement sans faire attention aux autres. Le jour chacun vaque à ses occupations dans sa maison. Aux îles Trobriand, un homme et une femme sur le point de se marier ne doivent jamais prendre un repas en commun. Cela froisserait gravement la susceptibilité d’un indigène, ainsi que son sens de la propriété. Nous blâmons une jeune fille qui partage le lit d’un homme ; l’indigène adresse un blâme non moins fort à celle qui partage le repas d’un homme.

Le mariage

Un devoir civique

Renoncer à la liberté sexuelle a bien une contrepartie : un indigène des îles Trobriand n’acquiert tous ses droits dans la vie sociale qu’à partir du jour où il se marie. De ce fait, il n’existe pas, parmi les hommes mûrs, de gens non mariés, à l’exception des idiots, des invalides incurables, des vieux veufs et des albinos. C’est également vrai des femmes. Une veuve qui tarde à se remarier pour profiter de la liberté sexuelle accordée aux gens non mariés, finit par attirer sur elle la réprobation publique pour manque de respect envers les usages de la tribu.

La rente annuelle

Pour l’homme, le mariage a encore une autre raison très importante : ce sont les avantages économiques qu’il procure. Le mariage comporte un considérable tribut annuel de denrées alimentaires de première nécessité que la famille de la femme verse au mari. Cette obligation constitue peut-être la facteur le plus important de tout le mécanisme social des insulaires des Trobriand.

Les limites du choix

Le choix pour se marier est essentiellement limité : les jeunes filles qui font partie de sa même classe totémique sont éliminées pour un jeune homme. Ensuite l’endogamie n’autorise le mariage que dans les limites d’un certain territoire politique. Et dans ce territoire viennent encore s’ajouter les limites du clan.

Le père, porte parole de la mère

Le consentement de la famille de la femme repose sur le père; les oncles et frères, à cause du tabou de l’inceste, ne peuvent pas s’occuper des affaires amoureuses de la fille et c’est donc le père qui retrouve ici un rôle social prépondérant, il agit comme le porte-parole de la mère qui est la seule personne à connaître des affaires amoureuses et du mariage de sa fille.

Manger et vivre ensemble

A partir du matin où la jeune fille est restée auprès de son fiancé, elle est considérée comme étant son épouse, à la condition, bien entendu, que les parents aient donné leur consentement. Sans celui-ci, l’acte ne constitue qu’une simple tentative de mariage. Le fait pour la jeune fille d’être restée avec le jeune homme, d’avoir partagé avec lui un repas et de séjourner sous son toit équivaut à un mariage légal, avec toutes les obligations qu’il comporte. Cette simple déclaration de mariage est suivie d’un échange de cadeaux. C’est la famille de la jeune fille qui inaugure l’échange de cadeaux, signifiant ainsi son consentement au mariage. Le premier cadeau est simple : des aliments cuits dans un panier offert par le père de la fille aux parents du jeune homme.

C’est seulement à l’époque de la prochaine récolte que les jeunes époux construiront leur propre maison, jusque là, ils vivent une lune de miel prolongée sous le toit familial. Ensuite les époux ne devront plus manifester en public d’élans amoureux. Le mariage repose sur la compatibilité des caractères et des personnalités, plutôt que sur la compatibilité sexuelle ou la séduction érotique.

Les formes coutumières de la liberté sexuelle

Des dérogations orgiaques à la morale sexuelle

Tout en étant soumis à certaines restrictions, chacun jouit d’une grande liberté sexuelle et trouve de nombreuses possibilités d’expériences sexuelles. Loin de souffrir de l’impossibilité de satisfaire son instinct, l’indigène dispose à cet effet d’un vaste choix et de multiples occasions qui n’épuisent pas toutes les possibilités d’aventures amoureuses. Il y a deux catégories d’occasions, celles encouragées et qui favorisent les mariages, les autres qui sont des dérogations à la morale sexuelle courante et qui sont accomplies dans le secret car elles comportent souvent des excès orgiaques.

La pleine lune érotique

Les jeux de l’enfance et de l’adolescence comprennent des éléments érotiques qui augmentent à l’époque de la pleine lune. Dans la douce lumière nocturne et la fraîcheur réconfortante, toute la population envahit la place centrale, les jeunes animent les jeux, les plus âgés en sont les spectateurs. Ces jeux permettent des contacts physiques, des déclarations verbales et l’organisation de rendez-vous. Après des farandoles dans lesquelles garçons et filles se tiennent par la main, viennent les rondes vertigineuses ponctuées de chansons qui deviennent vite obscènes et sont pleines d’allusions sexuelles. Des jeux de groupe se poursuivent et ils sont basés sur des imitations d’animaux ou d’utilisation d’objets et ils comprennent des chansons.

Cache-cache & guerre du sexe

Plus important, le jeu favori est celui de la guerre. Les joueurs sont divisés en deux camps égaux mélangeant hommes et femmes (tout en respectant le tabou de l’inceste entre frère et sœur . Lorsqu’un camp prend le dessus et parvient à repousser l’autre, les vainqueurs font subir des brutalités aux captifs. Pris par le jeu, il arrive que les joueurs font souvent subir aux maisons voisines, aux jeunes arbres et aux objets domestiques se trouvant à proximité, des dommages considérables. Si ce jeu permet l’expression de la force brutale et celle de l’adresse, de nombreux joueurs en profitent dans des intentions purement érotiques et des proximités physiques permettent des intimités qu’on n’obtient pas autrement. Les vainqueurs lancent des cris puis se jettent sur les vaincus, s’en emparent et des accouplements ont lieu sous les yeux de tout le monde. Tard dans la nuit, se déroule le jeu de cache-cache, les sexes sont divisés, hommes et femmes se cachant alternativement. Ce jeu favorise les rendez-vous qui ne sont que des préliminaires pour d’autres rencontres. Aussi est-il considéré comme peu convenable pour une femme mariée de jouer à cache- cache.

Baignades érotiques

Pendant les jours chauds de la saison calme, jeunes gens et jeunes filles s’en vont sur la plage, vers les criques et les bras de mer où ils se livrent à des jeux de baignade. Le jeu qui consiste à se pousser réciproquement dans l’eau comporte souvent une lutte corps à corps, et les baignades font apparaître le corps humain sous une lumière séduisante et stimulante. Ces jeux sont le point de départ d’intrigues amoureuses.

Moissons et batifolage

La période de la moisson est une période de joie et d’activité sociale, de visites constantes de communauté à communauté. Chaque village envoie des bandes de jeunes gens et de jeunes filles porter des dons alimentaires. Ces visites favorisent la conclusion d’intrigues entre des personnes de communautés différentes. Après le coucher du soleil, garçons et filles s’en vont s’amuser dans d’autres villages et ne reviennent que tard dans la nuit. Toutes ces activités deviennent plus intense à mesure qu’on approche de la pleine lune.

La fête des caresses abolie par les missionnaires

L’autre catégorie de jeux se rapportent à des fêtes qui sont des concours de danses, de chants, de cadeaux faits de colliers de fleurs ou de coquillages. Ils permettent aux participants de se mettre en valeur pour se voir reconnu des mérites et une place dans l’estime des gens. C’est le chef du village qui est responsable de ces fêtes. Jusqu’à l’arrivée des missionnaires, il existait une fête dont le motif principal consistait en caresses érotiques auxquelles on se livrait en public , et cela sans aucune retenue. Lorsqu’un garçon et une jeune fille se sentent fortement attirés l’un vers l’autre, celle-ci est libre d’infliger à son amoureux des douleurs physiques considérables, en l’égratignant, en le frappant et même en le blessant avec un instrument tranchant. Le garçon les accepte avec bonne humeur, parce qu’il y voit un témoignage de l’amour que lui porte sa bien-aimée et une preuve qu’elle a du tempérament. Sortir de cette fête couvert d’entailles est un signe de virilité et une preuve de succès. L’ambition d’une femme consiste à blesser le plus d’hommes possible ; l’ambition d’un homme à recevoir autant d’entailles que possible et à cueillir sa récompense auprès de chacune de ses assaillantes. L’acte sexuel est accompli en public, sur la place centrale ; des gens mariés prenaient part à l’orgie, l’homme et la femme se conduisant sans aucune retenue, même sous les yeux l’un de l’autre, même sous le regard des frères et sœurs envers lesquels s’appliquent le tabou de l’inceste.

Condoléances et hospitalité sexuelles

La coutume admet deux sortes de rapports occasionnels : après la veillée mortuaire qui a lieu immédiatement après le décès, les gens qui sont venus des villages voisins repartent tard dans la nuit mais il est d’usage que quelques filles restent pour coucher avec des garçons du village où s’est produit le décès. Leurs amants habituels ne s’y opposent pas et ne doivent pas s’y opposer. Dans une époque lointaine lorsque l’étranger ne suscitait pas de méfiance et qu’il était davantage choisi, on considérait alors comme un devoir pour une jeune fille du village de passer la nuit avec lui. Il est à présumer que l’hospitalité, la curiosité et le charme de la nouveauté ôtaient à ce devoir ce qu’il pouvait avoir de pénible.

Expéditions nocturnes pour razzias sexuelles

Une autre tradition porte sur des expéditions menées seul ou en groupe pour rencontrer des partenaires dans un autre village. Faites de nuit, elles doivent conserver le secret sinon les jeunes du village se défendent contre les intrus. Les garçons peuvent organiser ces virées tout comme les filles peuvent se rassembler en groupe pour aller dans un village voisin. Souvent les filles mènent ces expéditions en représailles contre un excès d’expéditions de garçons venant d’un autre village, elles se vengent ainsi de leurs amoureux qui visitent trop souvent les villages environnants. Sinon c’est parce que les hommes sont partis depuis longtemps à la pêche ou en voyages d’affaires et qu’elles ont décidé de se consoler ailleurs. Il arrive aussi que des jeunes filles ayant confectionné pour elles une jolie garde-robe décident de la montrer à un public plus vaste que celui de leur village, c’est alors aussi une occasion pour recevoir des cadeaux dans les autres villages. Ces expéditions féminines sont arrangées à l’avance. Si les garçons pénètrent de nuit dans le village, les jeunes filles se cachent en fin d’après-midi dans les bosquets proche du village pour se maquiller et arranger leurs toilettes et les garçons ne s’approchent que sur les signes des jeunes filles une fois que ces dernières ont entonné la chanson qui indique qu’elles sont prêtes. Très vite tout le village est face au groupe des jeunes filles sauf les filles originaires du village qui boudent devant l’intrusion des rivales mais il leur est interdit de manifester d’autres attitudes plus agressives. Avec le soir, la rencontre débute par l’échange de cadeaux. Le garçon choisi offre à la fille un présent. En acceptant le cadeau la fille montre qu’elle accepte que le jeune homme devient son amant pour la nuit. Les couples se retirent dans la jungle et dans une clairière, ils fument, mangent, chantent, chaque couple à part. De temps à autre, on voit un jeune homme et une jeune fille quitter le gros de la bande, sans que personne y fasse attention. Il n’y a pas d’excès orgiaque lors de ces rencontres mais c’est l’occasion pour nouer des intrigues amoureuses qui pourront durer longtemps. Le retour d’expédition pour les jeunes filles est très délicat et il arrive qu’elles soient découvertes à leur arrivée ce qui donne lieu à des règlements de comptes. Les coupables sont injuriées, battues et parfois violées en public : des garçons tiennent la jeune fille pendant que son « propriétaire » légal, la possède à titre de châtiment.

Les violeuses d’homme

Dans le sud de l’île existe une coutume particulière : les femmes travaillent ensemble aux champs et lorsqu’elles voient un homme d’un autre village, elles ont le droit de se précipiter sur lui pour le soumettre à des violences sexuelles. En général, elles enlèvent leurs jupes pour courir toutes nues sur l’homme, le dévêtir et arriver à le faire éjaculer puis elles le souillent au point de le faire vomir. Elles lui arrachent les cheveux et l’homme est tellement battu qu’il ne peut plus guère se lever et s’en aller. Cette pratique ne court que durant la période du sarclage aux champs. Elle a du être très rare et on en parle plus par curiosité que comme une pratique régulière et fréquente mais elle permet de dissuader les étrangers de venir et les hommes du village l’apprécient car ils sont tranquilles devant cette absence de rivaux potentiels. Les autres régions de l’île trouvent cette coutume barbare et en profitent pour mépriser les gens des villages qui l’entretiennent. Son intérêt économique est cependant évident : ces femmes en furie dissuadent tout étranger d’aller dans les champs ou dans leur village, ce qui protège assurément les plantations lorsqu’elles sont les plus vulnérables. Ceci peut représenter un cas où la licence sexuelle vient aider à la mise en sécurité des biens économiques les plus vitaux… tout en créant des histoires dont les gens s’amusent… sauf la pauvre victime qui aura vécu une expérience sexuelle dont il se souviendra toute la vie (les femmes en question devraient aussi s’en souvenir).

La morale

Les valeurs viriles du charme, de la beauté, et de la magie

Les jeux érotiques organisés dans des périodes particulières sont des moments d’exception : les contacts corporels qui y sont permis sont d’autant plus appréciés qu’ils sont interdits dans les circonstances ordinaires. Toutes les approches érotiques préliminaires doivent être exécutées sous le couvert de l’obscurité. Les déviations sexuelles sont très mal vues et sont couvertes de ridicule. Par toute leur attitude à l’égard des excès sexuels, les Trobriandais montrent la valeur qu’ils attachent à la retenue et à la dignité et à quel point ils admirent le succès, non en lui-même ou pour ce qu’il représente pour l’homme, mais parce que l’homme qui a du succès en amour n’a pas besoin de recourir à l’agression active. Le commandement moral qui ordonne de ne pas violer, solliciter ou se livrer à des attouchements repose sur la ferme conviction que ce sont là des procédés honteux, parce que la dignité véritable consiste à être désiré, à conquérir par le charme, par la beauté, par la magie. Mœurs, morale et jugements esthétiques sont subordonnées à la psychologie des démarches amoureuses et de la conquête par la magie. On constate partout une désapprobation de la sollicitation directe, de la rapacité, de la convoitise et, surtout, l’idée que c’est un déshonneur que d’être dans le besoin, vivre une vie de privations et de disette. Au contraire, l’abondance et la richesse, associées à la générosité, constituent un titre de gloire.

Un kâmasûtra égalitaire

L’acte sexuel respecte une éthique : la position adoptée permet à chacun des conjoints une grande liberté de mouvement pour participer activement et à égalité à l’échange et à l’union. Les Trobriandais ont été horrifiés de voir comment les hommes blancs se vautraient sur le corps des femmes et les écrasaient. Un homme n’éjacule qu’une fois que la femme a connu un premier orgasme et l’acte se poursuit après jusqu’à satiété des partenaires. La rapidité de l’acte sexuel des hommes blancs les font passer pour des idiots ou des gens sans éducation, les femmes blanches sont prises en pitié, on les plaint de ne pouvoir connaître les plaisirs que connaissent fort bien les femmes trobriandaises.

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