Quand les dieux voulaient être mère
«Pourquoi Zeus nous oblige à passer par les femmes pour avoir des fils? […] Quel besoin a-t-on des femmes, quand l’esclave est là pour les travaux ménagers, et l’adolescent désirable pour les ébats amoureux ?» – Eschyle, poète antique grec
Dans la tragédie du Matricide d’Oreste, Apollon porte le coup décisif pour défendre le meurtrier ; il attaque la femme dans sa fonction essentielle, celle qui assurait sa supériorité, dans sa fonction maternelle :
« Ce n’est pas la mère qui engendre ce qu’on appelle son enfant, argumente-t-il ; elle n’est que la nourrice du germe versé dans son sein ; celui qui engendre, c’est le père. La femme, comme un dépositaire étranger reçoit d’autrui le germe ; et quand il plaît aux dieux, elle le conserve. La preuve de ce que j’avance, c’est qu’on peut devenir père sans qu’il y ait besoin d’une mère ; témoin cette déesse, la fille de Zeus, du roi de l’Olympe. Elle n’a point été nourrie dans les ténèbres du sein maternel et quelle déesse eût produit un pareil rejeton ? » – Apollon à propos d’Athéna
Athéna devint la fille aînée et préférée de Zeus, qui alla même, comme le dit la légende, jusqu’à l’enfanter. Zeus se mit au lit, poussa des gémissements et jura qu’il avait porté dans sa cuisse le petit Dionysos que sa mère venait de mettre aux cieux : par privilège rare, Dionysos était Bimétor, à double mère ; les civilisés se contentent d’être à plusieurs pères. Zeus n’était pas à son premier accouchement, déjà il avait enfanté Athéna. Ainsi, elle était la réponse de l’homme aux insolentes parthénogenèses des premières déesses, qui se vantaient de concevoir sans le secours du mâle, elle était la vivante protestation contre la famille maternelle. Elle est conquise d’avance ; elle avoue cyniquement sa partialité :
« Je n’ai pas de mère à qui je doive la vie ; ce que je favorise partout c’est le sexe viril… Je suis complètement pour la cause du père. Je ne puis donc m’intéresser au sort de la femme, qui a tué son époux, le maître de la maison. » – Athéna
Aristote (384-322 av JC): « La raison de l’infériorité des femmes réside dans un défaut, parce qu’elles ne sont pas capable de reproduire le sperme qui contient un être humain complet. De plus, quand un homme et une femme ont des rapports sexuels, l’homme fournit la substance de l’âme de l’enfant, alors que la femme ne produit seulement la nourriture pour celui-là. »
Orion procréé sans mère
Hyriée, le fondateur de la cité d’Hyrie, en Béotie, n’avait jamais rencontré une femme mais souhaitait néanmoins avoir un héritier. Un jour, Zeus, Hermès et Poséidon lui rendirent visite dans son palais. Pour eux, Hyriée sacrifia le plus beau bœuf de son troupeau.
Plus tard, il leur demanda comment il pouvait faire pour avoir un descendant sans qu’il soit obligé de se marier. Pour cela, Zeus lui fit apporter la peau du bœuf qu’Hyriée leur avait sacrifié et il lui demanda d’uriner dessus. Alors Hyriée s’exécuta. Puis les trois dieux enterrèrent la peau dans le jardin du palais et prirent congé.
Neuf mois plus tard, à l’endroit où la peau avait été enterrée parut un garçon auquel Hyriée donna le nom d’Orion. Lorsqu’il eut atteint l’âge adulte, il était si grand qu’il pouvait marcher au fond de la mer tout en gardant la tête et les épaules hors de l’eau.
Une tradition pathologique patriarcale
La couvade désigne une coutume, d’abord observée dans le Pays basque médiéval, où un futur père, peu avant l’accouchement de sa femme, se met au lit, imite la grossesse et se plaint des douleurs de l’enfantement, tandis qu’on lui accorde le traitement des femmes en travail. On connaît la couvade basque : la femme accouche, le mari se couche, geint et se contorsionne ; les compères et les commères du voisinage viennent gravement le complimenter de son heureuse délivrance. Cette curieuse coutume, que Strabon avait déjà signalée chez les Ibères, s’est conservée jusqu’à nos jours. Ou s’était imaginé qu’il n’y avait que les Basques, assez amis de la farce, pour donner à leurs amis et connaissances le spectacle d’une scène aussi grotesque.
Mais quand les Européens découvrirent l’Amérique, ils s’aperçurent que leurs coreligionnaires de la Biscaye et de la Guipozcoa n’étaient pas les seuls à jouer la couvade. « Aussitôt que chez les Apiponnes, écrit un missionnaire, la femme a mis au monde un enfant, on voit le mari se mettre au lit : on l’entoure de soins, il jeûne pendant un certain temps, vous jureriez que c’est lui qui vient d’accoucher. » – « Chez d’autres indigènes, écrit un voyageur, le mari se met tout nu dans son hamac ; il est soigné par les femmes du voisinage, tandis que la mère du nouveau-né prépare la cuisine, sans que personne s’occupe d’elle. »
Une maladie mentale universelle
Cet usage a été observé un peu partout : en Europe, en Afrique, en Asie, dans le vieux et dans le nouveau monde ; dans le présent et dans le passé. Marco-Polo le trouvait dans le Yunan, au XIIIº siècle. Apollonius qui vivait deux siècles avant notre ère, raconte que « les femmes du Pont-Euxin mettent au monde leurs enfants avec la participation des hommes, qui se couchent, poussent des cris perçants, s’enveloppent la tête, se font préparer des bains et nourrir délicatement par leurs femmes. » – « Les Cypriens, dit Plutarque, se mettent au lit et imitent les contorsions de la femme en couches. » Les Athéniens célébraient le 2 du mois gorpeius (septembre), une fête en l’honneur d’Ariadne ; pendant le sacrifice « un jeune homme, couché dans un lit, imitait les mouvements et les cris d’une femme en travail. » (Plut. Thésée XVIII). On pourrait multiplier les citations, mais celles-ci suffisent pour établir que cette coutume a été assez générale sur toute la terre. De même, dans la mythologie romaine, Jupiter se mit au lit, poussa des gémissements et jura qu’il avait porté dans sa cuisse le petit Bacchus que sa mère venait de mettre aux cieux. Jupiter n’était pas à son premier accouchement, déjà il avait enfanté Minerve.
La femme déchue de son pouvoir suprême : la maternité
La couvade des Basques n’était qu’un amusant sujet de plaisanteries, tant qu’on la crut une particularité de ce peuple si original ; mais le fait de la retrouver chez des peuples si divers et jusque dans l’Olympe, mérite considération. L’homme, le plus cruel et le plus grotesque des animaux, travestit parfois les phénomènes sociaux les plus considérables en des cérémonies les plus ridicules. La couvade est une des supercheries qu’employa l’homme pour déposséder la femme de ses biens et de son rang. La parturition proclamait le droit supérieur de la femme dans la famille : l’homme parodia l’enfantement pour se convaincre qu’il était bien le faiseur de l’enfant. Ainsi, la famille patriarcale fit son entrée dans le monde escortée par la discorde, le crime et la farce dégradante.
Le féminisme patriarcal
Quand le féminisme exige le partage de tout : des tâches domestiques (les hommes en effectuent 30%), des soins aux enfants (les hommes en assument 40%), et de la représentation politique (la parité), il se penche aussi sur la table d’accouchement et sollicite la participation des pères ; ceux-ci répondent plus ou moins volontiers à cette invitation. Certains accèdent alors “au plaisir de materner leur bébé. C’est aux féministes qu’on doit aujourd’hui d’observer ces jeunes hommes ravis de porter, nourrir, bécoter leur enfant (…)” .