Ys, la cité de Dahut, reine bretonne païenne et libertine, engloutie par le dieu-père puritain

Il est aujourd’hui difficile de retrouver les traces du mythe originel, l’Église catholique romaine s’étant chargée de christianiser les cultes celtes implantés en Bretagne.

Une nouvelle religion qui offense les fées

La légende se déroule durant l’avènement du christianisme en Gaule. Gradlon, « roi » de Cornouaille, né en 330 après J.-C., mort en 405, est un personnage légendaire en Bretagne. Dans sa jeunesse païenne, Gradlon tombe profondément amoureux de Malgven, la reine du Nord, lors d’une expédition guerrière, une sorte de fée-druidesse (une bansidh dans la tradition irlandaise). Malheureusement, il offense la créature mystérieuse en se convertissant au christianisme et en cherchant les conseils de saint Guénolé, un personnage religieux qui aurait vécu au Ve siècle en Bretagne. La fée quitte Gradlon en franchissant un fleuve torrentiel et en l’avertissant de ne pas la suivre. Le Breton courageux la poursuit, plongeant dans les eaux tourbillonnantes. La fée, forcée de sauver la vie de son ancien amant, ne l’a pas moins détesté pour autant car ce sauvetage était la preuve que son amour n’était pas mort. Le premier amour féerique du roi est revenu bien des années plus tard posséder l’esprit de la fille de Gradlon, Dahut, qui fut à l’origine de la disparition de la ville d’Ys.

Héritière de l’ancienne tradition

Fille de Gradlon, le roi de Cornouaille, et de Malgven, la reine du Nord, Dahud (ou Dahut), parfois appelée Ahès, est un personnage majeur du légendaire breton. Le nom de « Dahud » vient du celtique dago soitis, qui signifie « bonne magie », il indique le caractère surnaturel du personnage. C’est une femme de l’Autre Monde celtique connu dans la mythologie celtique irlandaise sous le nom de Sidh, ces messagères sont les bansidh (ban = femme). Dahud fait bâtir Ys (ou Is), cité qui symbolise l’ancienne civilisation celtique face à l’intrusion du christianisme. Mais dans le contexte médiéval, la ville ne peut-être que détruite et la figure du diable renforce son côté maléfique. Dans la ville d’Ys, le plaisir règne en maître, plaisir intolérable aux yeux de la nouvelle religion (le catholicisme). Gradlon y faisait respecter le principe d’égalité. Les citoyens étaient très riches, tout comme la ville, et des gens et des cultes très diffèrents y étaient présents. Ys était une immense ville, la plus resplendissante des cités, dans la baie de Douarnenez, en Cornouaille (Bretagne continentale). On dit que la ville d’Ys etait la plus belle capitale du monde, et que Lutece fut baptisée Paris car « Par Ys » en breton signifie « pareille a Ys »

Une résistante contre le nouvel ordre

La reine Dahut régnait sur Ys. En elle survit la culture de la reine du Nord. Elle y régnait en maîtresse absolue, gardienne de l’ancienne religion des Celtes. Païenne, elle tenait tête à l’avancée du christianisme. La jeune Dahut, fidèle au culte des anciennes déesses, accusait Corentin, évêque de Quimper, d’avoir rendu la ville triste et ennuyeuse. Elle entre ouvertement en conflit avec les moines et demande à son père (son oncle ? ndlr) de lui bâtir une ville (Ys ou Ker-Is) pour y vivre à la manière des anciens, une ville sans église. Ahès, très liée à la Déesse de la terre (le nom Ahès aurait donné leur nom aux monts d’Arrée), lui rend souvent hommage en quittant le ville pour se promener dans les bois. On y célèbre les plaisirs de la nature et du corps. Non mariée, elle pratiquait l’amour libre. La légende rapportée par les chrétiens prétend qu’elle organisait des orgies chaque soir et qu’elle assassinait ses amants dès l’aube venue. Elle faisait venir un nouvel amant au palais, l’obligeant à porter un masque de soie. Mais le masque était enchanté, et à l’aube il se transformait en griffes de métal, tuant ainsi ses amants dont le corps était jeté du haut d’une falaise dans l’océan. Face à ce comportement de pécheresse, le très pieux Saint Guénolé la mettait sans cesses en garde par ses sermons.

Des vestiges de matriarcat ?

Il s’agit là probablement de vestiges de l’ancien matriarcat primordial : une société sans père ni mari, mais pas sans oncle maternel. Le matriarcat permettant une totale liberté sexuelle (sauf l’inceste), il est probable que la reine Dahut changeait souvent d’amant, et que selon la tradition, ces derniers quittaient la couche dès les premiers rayons du soleil, comme chez les Moso du Yunnan contemporains… ce qui aurait mal été interprété par les mauvaises langues puritaines.

Lire Matriarcat Moso (Chine) : sans père ni mari, mais pas sans oncles, le paradis de la déesse-mère Gemu

L’impérialisme religieux

Mais un jour des émissaires de l’Eglise catholique romaine arrivent, menaçant Gradlon d’attaquer la ville s’il n’y fait pas construire une église (l’église catholique s’étant alliée à Rome pour étendre et renforcer leurs pouvoirs mutuels). Ou Gradlon obéit, ou Is sera rasée par Rome. Ahès, révoltée, fuit la ville, se rend dans les monts d’Arrée et demande l’aide du dieu Cernunnos, dieu celte cornu de la fertilité. On peut supposer que c’est lui à cause de sa description, l’église en a plus tard fait le diable en assimilant ses cornes de cerf à celles du diable. Celui-ci dit alors à Ahès de rentrer à Is, et que la nuit venue il sauvera la ville.

La châtiment divin contre le péché de chair

Elevée plus bas que la mer, Ys en était protégée par une puissante digue. Une écluse fermait le port et seul Gradlon pouvait décider de son ouverture ou fermeture, permettant ainsi aux habitants d’aller pêcher. Un beau matin, un prince, tout de rouge vêtu, arriva dans la cité. Après avoir longuement dansé, Dahut tomba amoureuse de l’étranger. Or c’était le diable que Dieu envoyait pour châtier la ville pécheresse. Par amour pour lui, elle lui donna la clé de l’écluse qu’elle déroba à son-père pendant son sommeil. Le prince ouvrit l’écluse et l’océan en furie envahit la ville en déferlant dans les rues et étouffant ainsi les cris d’horreur des habitants. En une nuit, Dieu la punit en engloutissant la ville sous les flots. La ville est submergée et s’enfonce au fond de la mer. Dahut et Gradlon s’enfuirent sur les flots, sur le destrier magique Morvach (cheval de la mer), la mythique monture de Malgven, mère de Dahut. Mais Saint Guénolé, acharné et hystérique, ordonna au père de jeter à la mer « le démon assis derrière lui ». Ce qu’il fit !

Dahut et son père sur le destrier magique Morvach, poursuivis par Saint Guénolé.

– « Gradlon, jette à l’eau la sale bête qui s’accroche à toi »
– « Mais c’est ma fille Guénolé. Je ne saurais la laisser »
– « Toi seul seras sauvé, toi seul ! »

Une ville maudite

Lorsque la mer fut apaisée, le saint homme Guénolé, servi par le vieux Gradlon, voulut dire une messe pour le salut de la ville engloutie. Alors qu’il élevait le calice, surgit des eaux scintillantes, le torse blanc d’une fille aux cheveux de cuivre, un bras levé au ciel. Une lourde queue d’écailles bleues terminait son corps. C’était Ahès-Dahut, devenue Marie-Morgane. La main de Guénolé trembla si fort, que le précieux calice lui échappa et vint se briser sur les rochers. La messe ne fut point consommée, Is demeure maudite et Marie-Morgane sirène. Chaque fois que se montre Ahès, un orage terrible est bien près de crever.

La déesse-mère libertine de la mer

Le nom de « Marie Morgane », du gaulois morri-genis, (mor-gan en breton), il signifie « née de la mer ». La Marie Morgane est parfois vue comme la déesse des mers bretonnes. Ce sont des filles de plaisir aux mœurs légères. Elle ensorcelle depuis les marins et les entraîne au fond de la mer, déchaine la tempête, mais aussi calme le vent. Si le soir, les parents ou les amis ne rentraient pas le folklore local voulait que Marie Morgane ait encalminé leur bateau au large. Paul Sébillot décrit les Marie Morganes comme des créatures très effrontées et versées dans la science des maléfices, qui passent leur temps à poursuivre les jeunes hommes pêcheurs de leurs sollicitations amoureuses. Si par malheur, l’un d’eux leur cédait, il était alors entraîné sous les flots et on ne le revoyait jamais. Elles vivraient dans de somptueux palais sous-marins dans lesquels elles entraîneraient leurs amants, pêcheurs ou marins, qui deviennent alors leurs prisonniers à jamais, mais jouissent de plaisirs infinis dans ces palais sous-marins, au point d’oublier leur vie terrestre.

Quand Ys resurgira

La submersion de la ville par l’océan provoque la perte de la princesse, mais selon la légende elle n’est pas morte et continue de hanter la baie de Douarnenez sous la forme d’une sirène. Is, quant à elle, est toujours en vie sous les flots, les citoyens étant restés immortels. On raconte qu’un jour, celui qui verra la ville sous les eaux et s’y rendra permettra de lever la protection de Cernunnos, et que la ville resurgira, plus radieuse que jamais, et que ce jour les héros des Bretagnes reviendront tous de l’Autre Monde (le royaume celte des morts). On dit aussi que les fortifications de la cité sont visibles sous les flots par certains rayons de soleil, et que les cloches de ses tours résonnent encore durant les journées magiques comme le 1er Mai.

Pa vo beuzet Paris, Ec’h adsavo Ker Is : Quand Paris sera englouti, Resurgira la ville d’Ys

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