L’abandon d’enfant est un phénomène très ancien qui connut un développement important au XVIIIe siècle. En 1787, Necker, estimait à 40 000 le nombre d’enfants trouvés qui survivaient parmi les vingt-six millions d’habitants de la France. Selon Jean Pierre Bardet, c’est environs 3 millions d’enfants illégitimes (bâtards) qui furent abandonnés en France entre la seconde moitié du 18ème à la fin du 19ème, soit 1 enfant illégitime sur 2. On distinguait les « enfants trouvés », exposés dans les lieux publics, recueillis et transportés dans une institution, des « enfants abandonnés » que leurs parents confient à un proche, à une autorité locale, à une institution.
Histoire de la bâtardise
Lire Le gouvernement Suisse reconnaît enfin l’esclavage des enfants conçus hors mariage jusqu’en 1981
Un crime pénal
L’abandon d’enfant longtemps considéré comme un crime expose les mères à des sanctions pénales. En 1556, Henri II avait ordonné la promulgation d’un édit faisant obligation à toutes les filles de déclarer leur grossesse dès qu’elles en avaient connaissance pour limiter l’infanticide. Pourtant, il est avec l’abandon, monnaie courante. On abandonne plus facilement en ville qu’à la campagne, où l’on peut se fondre dans l’anonymat. Un grand nombre d’enfants sont déposés sur la voie publique, devant les porches des églises ou les maisons bourgeoises, la nuit. C’est la culture du secret !
Issus de mariages non approuvé par les pères
Les raisons de l’abandon sont multiples. Ces enfants peuvent être issus de mariage considéré comme illégitime, c’est-à-dire non-approuvé par le père d’un ou des deux mariés. L’ordonnance de 1556 impose le consentement paternel pour les filles jusqu’à 25 ans et 30 ans pour les garçons. Cette pratique se rencontre surtout dans la haute société.
Le mariage est le seul garant de la reconnaissance de paternité
La sexualité hors mariage engendre des enfants sans père. Un enfant né hors mariage était une honte, et avait moins de droits. Au début du siècle encore, en France, les couples qui procréent hors mariage sont bannis de la société, et parfois poussés au suicide ! Dans les sociétés catholiques, les enfants sans pères étaient jetés dans des hospices religieux, et les filles-mères, emprisonnées et esclavagées à vie dans des couvents de bonnes-soeurs. Les Couvents de la Madeleine, ont fermé en 1996 en Irlande. J.J. Rousseau qui se pose en pédagogue en matière d’éducation, abandonne sans remord ses cinq bâtards à l’hospice. Ils y seront mieux élevés que par sa maîtresse dit-il.
La criminalisation de la procréation hors mariage
Ce phénomène d’abandon s’explique par plusieurs causes, tenant soit à l’incapacité économique de la mère de subvenir à ses besoins, soit à des raisons psychologiques, soit à des raisons d’ordre social tenant par exemple au stigmate frappant les enfants naturels, nés hors-mariage, et donc sans père. Cela devient catastrophique en cas de refus du consentement paternel ou de la disparition du futur mari. À Meulan, on estime à 8 % les procréations « anticipées » entre 1660 et 1739, et à 12 % après 1740. À Sotteville-lès-Rouen il y en a 36 % entre 1760 et 1790.
Les femmes qui ont recours à l’abandon sont souvent très jeunes et sans ressources car elles ne travaillent pas. Elles ont aussi peur d’annoncer à leur compagnon leur grossesse car ceux-ci risquent de fuir face à l’annonce de leur paternité. Enfin, lorsqu’il s’agit d’adolescentes issues de minorités ethniques (maghrébines ou antillaises par exemple), elles risquent aussi de se faire bannir de la famille, voire d’être physiquement punies.
Une pratique toujours vivace en terre d’islam
Certains pays du Maghreb, dont le Maroc et l’Algérie, tolèrent la pratique de l’abandon d’enfants, et ont mis en place des formes d’accouchement sous X, sans que celles-ci ne soient officialisées ; au Maroc, ceci va de pair avec une criminalisation de la mère, assimilée à une prostituée, puisqu’elle a pratiqué une sexualité en dehors du cadre légal du mariage (fornication, adultère). En Islam, un enfant conçu hors mariage n’a pas de père légal.
Enfants naturels, enfants de l’amour
Un enfant naturel est un enfant sans père, conçu hors du cadre légal du mariage. Historiquement le mot bâtard était employé pour désigner un enfant adultérin ou illégitime, c’est-à-dire conçu hors des normes sociales (mariage, célibat des prêtres…), également appelé « enfant de l’amour ». Ce terme de bâtard a des connotations négatives, mais celles-ci disparaissent lorsqu’il désigne les bâtards de familles royales ou princières, qui étaient souvent légitimés par un mariage tardif ou une reconnaissance paternelle tardive, et occupaient des rangs sociaux élevés.
Frappés d’indignité et d’incapacité totale de succession
La cause principale reste l’illégitimité. Quand l’enfant naissait hors mariage, il était considéré comme un « bâtard ». En France, une ordonnance de Louis XIII, datant de 1639, ordonne que tous les enfants nés hors mariage soient frappés d’indignité, d’incapacité totale de succession, ce qui revient à les exclure de la famille. C’est principalement la noblesse et la bourgeoisie qui recourront à cette décision. Les jeunes filles célibataires peuvent abandonner leur enfant à cause de leur faible revenu mais aussi en raison de leur difficulté à affronter la honte de l’éducation d’un bébé né « hors normes ». Que ce soit le père ou l’employeur, quand il découvre la grossesse, la réaction est bien souvent la colère et l’expulsion. Au 18 ème siècle, la progression des abandons est due à la misère des classes ouvrières populaires mais aussi au développement des naissances illégitimes liée à la liberté des mœurs qui caractérise ce siècle.
Le mariage sans amour cause d’amour sans mariage
Dans les milieux modestes urbains la pratique du concubinage est assez répandue. Ces unions temporaires, signes de la vie chaotique des ouvriers souvent contraints de changer de lieu de travail, sont à la merci d’une rupture du couple. À Reims, au milieu du XVIIIe siècle, la moitié des abandonnés ont une mère célibataire issue des milieux des fileurs de laine. Le personnel domestique n’était pas épargné: la pratique était courante, on le sait, pour les fils de famille, d’être « déniaisé » par une servante. Quant aux hommes mariés, il n’était pas rare qu’ils se consolassent dans les bras d’une femme de chambre ou d’une cuisinière, le mariage sans amour étant souvent cause d’amour sans mariage… En cas de scandale (c’est-à-dire d’enfant illégitime) que l’on ne pouvait étouffer, la future mère risquait le renvoi. Elle venait donc accoucher à l’hôpital, où elle abandonnait l’enfant. À Paris entre 1772 et 1778, 30% des abandonnés proviennent de femmes ayant accouché à l’hôpital général.
Fornication et adultère dans la haute société

Le national-socialisme réhabilite l’enfant illégitime
Extrait de : L’Ordre SS, éthique et idéologie de Edwige Thibaut, pages 116 et 117 : « En général, un paysan est loin d’être enchanté quand sa fille célibataire lui annonce la venue d’un enfant, chose qui cause une surprise fort légitime dans la famille : cependant dans les régions rurales, une saine manière de penser fait que, dans la plupart des cas, on résout beaucoup plus rapidement ce genre de chose que par exemple dans les villes. Dans diverses vallées du Tyrol, cela va même si loin que les jeunes filles qui n’ont aucun enfant illégitime trouvent difficilement un prétendant car on suppose qu’elles sont victimes de stérilité. On en est donc amené à conclure qu’à un niveau purement biologique et héréditaire, les enfants issus d’un mariage conclu légalement ne peuvent être considérés comme supérieurs aux enfants illégitimes. L’enfant illégitime n’est pas le seul à être méprisé par plus d’une classe ; c’est avant tout la mère illégitime qui est victime du dégoût de l’homme ordinaire borné. Le national-socialisme eut donc aussi la mission de donner à l’enfant illégitime la place qui lui revient dans la communauté populaire.
Vichy et 1789 à l’origine de l’accouchement sous X
La prise en compte de l’accouchement dans l’abandon secret est l’œuvre de la Révolution française. En 1793, la Convention nationale vota le texte suivant :
« Il sera pourvu par la Nation aux frais de gésine de la mère et à tous ses besoins pendant le temps de son séjour qui durera jusqu’à ce qu’elle soit parfaitement rétablie de ses couches. Le secret le plus inviolable sera conservé sur tout ce qui la concerne. »
En France, le régime de Vichy adopte, le 2 septembre 1941, le décret législatif pour la protection des naissances, permettant l’accouchement anonyme. Cette loi, modifiée depuis, sera à l’origine du droit moderne à l’accouchement anonyme (accouchement sous X), comme souligné par le Code d’action sociale et des familles (art. 222-6). Il couvre les enfants jusqu’à l’âge d’un an. En 2003, la Cour européenne des droits de l’homme soutiendra cette loi, déclarant qu’elle ne viole pas la Convention européenne des droits de l’homme.
“Le droit des familles est antérieur et supérieur à celui de l’état, comme à celui des individus. La famille est la cellule essentielle, elle est l’assise même de l’édifice social. C’est sur elle qu’il faut bâtir. Si elle fléchit, tout est perdu;tant qu’elle tient, tout peut être sauvé. C’est donc à elle que nous devons nos premiers soins.” – le maréchal Pétain
L’enfant est une charge improductive
Il faut bien comprendre que jusqu’au début du 20ème siècle, l’enfant n’est pas le centre de la cellule familiale. Jusque à la fin du 18ème siècle. Il est plutôt ressenti comme une charge tant qu’il ne devient pas productif en procurant une aide à sa famille. Même dans les milieux aisés, la mise en nourrice est la norme. On peut citer l’exemple célèbre de Talleyrand qui fut baptisé le jour de sa naissance en 1754 et remis la cérémonie terminée à sa nourrice qui l’emporta chez elle. Sa mère ne le revit pas une seule fois en 4 ans et ne demanda jamais de ses nouvelles. Elle ignora donc l’accident qui l’estropia et fit de lui un pied-bot.
Les noms donnés aux enfants abandonnés
Le nom des enfants abandonnés a longtemps été choisi arbitrairement :
- sous l’Ancien régime, on donnait souvent le prénom du parrain ou du saint du jour,
- au cours de la première partie du XIXe siècle, le souci d’éviter de donner un nom existant a souvent conduit les officiers d’état civil à recourir à des dénominations érudites et compliquées, sinon fantaisistes,
- enfin, un texte de 1905 obligea en principe à donner à l’enfant trouvé plusieurs prénoms, dont le dernier devait lui servir de nom.
La prise en charge des enfants trouvés
Sous l’empire romain, les » abandonnés » sont assignés, adjugés comme esclaves à ceux qui les recueillent ou adoptés par l’État sous le nom d’ » enfants de la Patrie « . Sous l’ancien régime et jusqu’à la révolution, le secours aux enfants trouvés résulte de la charité publique et privée. En principe, il revient aux seigneurs hauts justiciers de financer le placement des enfants abandonnés, mais ils s’en déchargent le plus souvent auprès des religieux ou religieuses. L’église s’efforce de secourir les enfants trouvés ou orphelins, mais jusque sous le règne de Louis XIII, il semble qu’il n’existe pas vraiment d’institution spécifique pour recueillir ce type de population. En 1638, St Vincent de Paul et Louise de Marillac créent l’œuvre des enfants trouvés à Paris. Sous leur impulsion d’autres institutions de ce type verront le jour à travers la France. Mais dans la plupart des villes, là où il existe un hôpital général ou hospice, les enfants lui sont confiés. Ils y grandissent au milieu des malades et des indigents.
Saint Vincent de Paul, père adoptif des enfants sans père
Dans les années 1630, Vincent de Paul est alerté des conditions désastreuses dans lesquelles les » abandonnés » sont pris en charge. Il va établir un règlement pour l’accueil et le placement de ces enfants et définit des principes stricts pour le recrutement de nourrices. Son oeuvre sera reconnue et officialisée en 1670 par la création de l’Hôpital des Enfants-Trouvés.
En France, les tours d’abandon sont introduits par saint Vincent de Paul, qui fera construire le premier à Paris en 1638. Ils seront officiellement légalisés par un décret impérial du 19 janvier 1811, et à leur apogée ils étaient au nombre de 251 dans toute la France. On en trouvait dans les hôpitaux, dont l’Hôpital des Enfants-Trouvés de Paris, aujourd’hui disparu.
L’hôpital des Enfants-Trouvés ou Hospital des Enfants-Trouvés fut une institution destinée à recueillir les enfants trouvés ou abandonnés dans plusieurs villes et capitales européennes. De 1670 à 1789, l’Hôpital des Enfants Trouvés a accueilli des milliers de nourrissons et le mouvement n’a cessé de s’accentuer puisque d’environ 2000 par an vers 1770, on arrive à 4500 en 1789. En 1795, cet hospice va créer une nouvelle section » allaitement » pour l’hébergement sur place des enfants abandonnés de moins de deux ans. Au 18e siècle, on compte plus de 7000 abandons par an, que l’on attribuera majoritairement à l’illégitimité.
L’infanticide des enfants illégitimes à Rome

Une alternative au fœticide des petites filles
Une des raisons les plus courantes pour l’abandon des bébés dans le passé est le fait qu’ils soient conçus hors mariage. Aujourd’hui, les tours d’abandon sont le plus souvent utilisés par des mères ne pouvant pas prendre en charge l’enfant et ne souhaitant pas dévoiler leur identité. Dans certains pays, dont l’Allemagne, il n’est pas permis aux mères d’accoucher anonymement dans un hôpital ; les Babyklappe ou Babyfenster sont donc les seuls endroits où elles peuvent laisser leur enfant pour que d’autres le soignent. En Inde les tours d’abandon sont une alternative à l’infanticide ou fœticide des enfants filles.
Un dernier baiser

Abandonné à l’abri des regards
Le tour d’hospice était un cylindre avec une ouverture sur une face et qui tournait sur lui-même. Placé dans la façade il y avait juste à côté une sonnette et un écriteau sur lequel on pouvait lire « Hospice des Enfants trouvés et abandonnés ouvert tous les jours de 6 heures du soir à minuit »… On peut imaginer que ces heures convenaient à la discrétion ; ainsi dans l’obscurité et à l’abri de regards on pouvait glisser « le paquet » dans le cylindre. Après un timide coup de sonnette, un surveillant de l’intérieur faisait tourner celui-ci et le bébé dont personne ne voulait partait rejoindre d’autres enfants sans parents.
Pour le reconnaître en secret
Toutefois, la mère qui se débarrassait de son bébé pouvait laisser un billet de reconnaissance lui réservant une possibilité de reprendre l’enfant plus tard. Ce sont les « remarques » : rubans, médailles, bouts de tissus… destinés à reconnaître les petits pour les reprendre ensuite si leur situation s’améliore. Ce billet était un morceau de papier écrit ou une image qu’elle déchirait en deux. Elle glissait une moitié dans la couche du bébé et conservait l’autre partie. Il suffisait plus tard de joindre les 2 parties pour qu’elle puisse le récupérer. Malheureusement ces billets n’ont pas été de grande utilité pour un bon nombre d’enfants que l’on n’est jamais venu rechercher.
Une mort certaine
On ne connaît que les enfants pris en charge par les organismes d’assistance. Nombreux sont les enfants qui décèdent entre le moment de leur exposition et leur arrivée dans les hôpitaux. Ainsi les cimetières de la région de Vitry-le-François étaient l’ultime étape des enfants lorrains acheminés vers Paris.
Un phénomène de masse
On peut donc multiplier les données ci-dessous par quatre ou cinq, voire plus, pour apprécier l’ampleur des abandons d’enfants. De 1640 à 1789, l’Hôpital des Enfants-Trouvés de Paris recueille 390 000 enfants, le flux passant de 30 enfants en 1640 à 5500 en 1780 (pour une population de 850 000 habitants). À Lyon on recense 600 enfants abandonnés en 1690, mais 1500 en 1790 (pour près de 130 000 habitants). À Marseille, on passe de 41 enfants en 1621 à 511 en 1788.
Jetés aux premiers jours
L’abandon a lieu très tôt dans la vie de l’enfant. À Lyon en 1716-1717, 40 % des enfants abandonnés ont moins de 2 jours, et 60 % moins d’un mois. À Paris en 1778, 60% ont moins d’un mois. À Nancy, en 1774, 40% ont moins d’une semaine, plus des trois quarts en 1788. Cette précocité de l’abandon trahit la réapparition sociale de la mère après un accouchement, souvent clandestin. Elle ne peut alors « s’encombrer » d’un enfant.
Pour enrayer une épidémie d’infanticides

28 % du total des naissances
Une pratique coûteuse abandonnée
À Hambourg, en Allemagne, un marchand néerlandais installe un tour d’abandon (qu’il appelle « Drehladen »), dans un orphelinat en 1709. Il sera fermé cinq années plus tard, en 1714, parce que le nombre de bébés abandonnés était trop élevé pour les ressources financières de l’orphelinat. D’autres tours d’abandon seront installés à Cassel (Hesse) (1764) et à Mayence (1811 à l’ancien couvent des pauvres des Clarisses).
Il y eut tellement d’abus que ces endroits furent très vite surpeuplés. C’est la raison pour laquelle la France les supprima assez vite. Comme celui de Bruxelles resta le seul à fonctionner les dépôts d’enfants affluèrent d’avantage et pris une telle proportion que le Conseil communal ordonna la fermeture de celui-ci en décembre 1856. Le Bourgmestre de Brouckère pris la décision de supprimer le tour moyennant des secours distribués aux filles mères. Bruxelles ne pouvait plus prendre à son compte l’entretien d’enfants abandonnés apportés de toutes les villes. Le Collège s’attaquait aussi à certaines accoucheuses qui se faisaient des revenus en aidant les mères à se débarrasser de leurs nouveaux nés moyennant de fortes sommes.
Qui encourage le vice (sexe hors mariage)
Renaissance des tours d’abandon

Lorsque la presse a rendu compte de cette initiative, il y eut des réactions en sens très divers: certains se scandalisant du retour à des pratiques vieilles de plusieurs siècles, d’autres attirant l’attention sur la réalité, à savoir les risques d’enfants laissés sur le trottoir, quand ce n’est pas dans des poubelles. Tout récemment – en juillet 2002 -, l’actualité nous signalait la recrudescence de bébés trouvés sur la voie publique dans l’ex-URSS, dont de nombreux étaient décédés.
Le premier tour d’abandon moderne voit le jour dans le district d’Altona de Hambourg le 11 avril 2000 après une série de cas où des bébés abandonnés furent trouvés morts d’hypothermie en 1999. Il consiste en un lit chaud où le bébé peut être placé depuis l’extérieur de l’édifice. Après un court délai pour laisser partir anonymement la personne l’y ayant laissé, une alarme silencieuse se déclenche pour avertir les employés. En 2005, 22 bébés furent déposés dans les tours d’abandon de Hambourg, dont sept qui seront finalement récupérés par leurs mères. Fin 2011, le ministère de la Santé russe a décidé d’en équiper les hôpitaux russes en commençant par les hôpitaux pour enfants de Krasnodar, Novorossiysk et Sotchi.
Situation internationale des tours d’abandon
- Afrique du Sud : L’ONG Door of Hope construit « un trou dans le mur » en août 2000 à la Mission Church de Johannesburg. En juin 2004 on comptait 30 bébés y abandonnés.
- Allemagne : La première Babyklappe moderne sera installée en 2000 ; en 2005 il y en avait 80 dans tout le pays et 98 en 2013.
- Autriche : Six communes possèdent des Babyklappe.
- Belgique : L’association Moeder voor Moeder (« Mères pour mères ») installe le premier babyschuif dans le district de Borgerhout d’Anvers en 2000. Il est communément appelé « Moeder Mozes Mandje », ou « Panier de Moïse des mères ». Aucun enfant n’y est laissé dans les premières années de son existence, jusqu’à ce qu’un bébé de 5 jours y soit recueilli en 2007 et un autre de 2 jours en juillet 2009.
- République tchèque : Le premier tour d’abandon est installé à Prague en 2002 par Babybox – Statim. En mars 2006 on y avait vu passer trois enfants.
- États-Unis : Les tours d’abandon n’existent pas, mais 47 États ont introduit les safe haven laws, à commencer par le Texas le 1er septembre 1999. Ces lois permettent aux parents d’abandonner légalement leur nouveau-né (de moins de 72 heures) anonymement dans certains endroits appelés « safe havens » (« refuges »), dont les hôpitaux et les casernes de pompiers. Cette loi a un nom différent selon l’État, ainsi en Californie, elle est appelée Safely Surrendered Baby Law.
- Hongrie : Il y en a environ douze, généralement dans les hôpitaux, le premier ayant ouvert en 1996 dans l’hôpital Schopf-Merei Agost de Budapest.
- Inde : Dans l’État de Tamil Nadu on en installa une en 1994, sur les ordres du ministre J. Jayalalithaa, pour éviter l’infanticide des petites filles. Ces bébés sont appelés Thottil Kuzhanthai(« bébés berceaux »), et sont pris en charge par le gouvernement et garantis une éducation gratuite.
- Italie : Il y en a environ huit. En décembre 2006, on en installa un au Policlinico Casilino de Rome ; en février 2007, il reçoit son premier enfant abandonné. Il y a également un projet d’en installer une à l’hôpital Santo Spirito du Vatican, qui abritait autrefois l’un des premiers culle per la vita.
- Japon : Un こうのとりのゆりかご (« berceau de la cigogne ») à l’hôpital Jikei de la préfecture de Kumamoto, pour essayer de réduire le nombre de bébés abandonnés et les avortements.
- Pays-Bas : En 2003, le projet d’ouverture d’un « babyluik » à Amsterdam sera annulé après de vives protestations. La ministre de la santé, Clémence Ross, déclare que les tours d’abandon sont illégales.
- Pakistan : La Edhi Foundation gère environ 250 centres offrant un service de jhoola. Le jhoola est un berceau suspendu en métal blanc avec matelas où le bébé peut être déposé, à l’extérieur du centre. Une cloche peut être sonnée pour avertir les employés, qui vont voir le jhoola toutes les heures.
- Philippines : Le Hospicio de San José de Manille, fondé en 1810 et géré par les Filles de la Charité, possède un « berceau tournant » marqué d’un panneau disant « Bébés abandonnés reçus ici ».
- Suisse : Un tour d’abandon est installé à l’hôpital d’Einsiedeln le 9 mai 2001.
La route de la mort
Au 18è siècle, tous les nourrissons, enfants en bas âge ne pouvant rester à l’hospice faute de place ou de subsides, les petits sont confiés à des nourrices. Conduits par des meneurs qui les portent à dos, dans des paniers, les nourrissons sont exposés aux intempéries. Plus tard on utilisera des carrioles bâchées munies de nacelles, sorte de berceaux. La route est longue, en moyenne une quinzaine de kilomètres entre le lieu d’abandon et la nourrice. Beaucoup d’enfants décèdent avant même d’arriver à destination.
Un taux de mortalité de 20%
Mais le pire est à craindre des nourrices elles-mêmes ! Pauvres femmes de la campagne, incultes, ignorantes des règles d’hygiène élémentaire, ces mercenaires élèvent plusieurs enfants à la fois. L’argent fait cruellement défaut, il est si difficile d’élever sa propre famille en ces temps de misère. Les nourrices sont mal payées, alors elles rognent sur tout : les médications, la nourriture… C’est un monde dur où le sentimentalisme n’a pas sa place. Qu’un enfant trépasse, c’est regrettable mais on en prendra un autre !
Tout ceci est dans la lignée du mot célèbre de Montaigne qui déjà en son temps écrivait en évoquant la perte de ses enfants : « J’ai perdu deux ou trois enfants en nourrice non sans regrets mais sans fâcherie ».
Au 18ème en France, le taux de mortalité infantile s’élève en moyenne à 20 % de l’ensemble de la population des enfants de la tranche d’âge inférieure à 1 an. Devant cette hécatombe, il devient urgent de réglementer et moraliser la profession. La loi Roussel de 1874 institue un comité supérieur de protection de l’enfance pour surveiller le marché des nourrices. Les services d’assistance publics passent sous la tutelle des préfets. Après la suppression des tours, l’État s’oriente vers l’abandon à bureau ouvert. Il va favoriser la baisse des abandons tout en masquant le problème car il ne protège pas les mères de l’anonymat. Règle qui sera reprise au 20ème siècle avec l’accouchement sous X.
Les fruits du péché
Peu à peu, l’État devant cette situation désastreuse prend conscience qu’il faut traiter le problème d’une manière plus radicale. Pour limiter les infanticides et les expositions, il s’investit socialement et politiquement dans le sauvetage de tous ces pauvres enfants qualifiés pour la plupart de « fruits du péché ».
L’esclavage des enfants sans père

L’enfer des petits ramoneurs

Les marchands d’enfants

Valoriser le rôle de la mère
A partir du 18ème siècle, le nouvel impératif est la survie des enfants pour empêcher l’hémorragie humaine qui caractérisait l’ancien régime. Moralistes, administrateurs, médecins, hommes d’église ou de la politique unirent leurs voix pour faire changer les mentalités en valorisant le rôle de la mère élevant son enfant, travail nécessaire à la société. On cherche les moyens d’enrayer la surmortalité des premiers mois de l’enfant voire les premières heures en donnant des conseils aux sages-femmes souvent responsables par leur ignorance d’un grand nombre d’accidents durant l’accouchement (création d’écoles de sages-femmes, manuels à leur usage, etc).
L’État proxénète des mères célibataires
L’Etat, et notamment le fisc profitait des maisons closes en prélevant 50 à 60 pour cent sur les bénéfices. Tout au long du XIXe siècle, les préfets délivrent des « certificats de tolérance » aux tenancières des bordels (les mères maquerelles, les hommes n’ayant pas le droit d’être patron de ce type d’établissements), les maisons closes prennent alors le nom de « maison de tolérance ». Paris en comptait 195 en 1945 pour 1150 filles.
Beaucoup de femmes y entraient par besoin (notamment les filles mères) ou parce que ne sachant rien faire d’autre. En effet, à cette époque peu de femmes pouvaient occuper un réel emploi contrairement aux hommes. Les filles mères connaissaient une double peine car elles étaient aussi le plus souvent rejetées de la société. La prostitution forcée des mères célibataires existent encore dans de nombreuses régions du globe comme en Inde, au Cambodge ou en Thaïlande.
Pour l’État, l’enfant est une valeur marchande à rentabiliser
En 1783, Monsieur de Chamousset dans son « mémoire politique sur les enfants » pose le problème d’une manière réaliste non empreinte de cynisme en ce qui concerne les enfants abandonnés : « Il est affligeant de voir que les dépenses considérables que les hôpitaux sont obligés de faire pour les enfants exposés produisent si peu d’avantages à l’état. La plupart périssent avant d’être arrivés à un âge où l’on pourrait en tirer quelque utilité ».
De la chair à canon
Cette idée est reprise dans le mémoire en forme d’observation pour servir à toutes fins aux doléances et plaintes de la ville d’Angoulême que les députés du Tiers état de ladite ville adressent au ministre des finances en 1789 :
« De quelque manière qu’on assure l’existence de ces infortunés, soit par la voie des hôpitaux, soit en se conformant à ce qui se pratique en Angoumois, il serait convenable de destiner un fonds à les établir……Ce plan ne peut empêcher un autre pour le moins aussi avantageux à l’État. Ce serait d’établir dans les villes maritimes des écoles de matelots, où les garçons seraient envoyés à l’âge de neuf ou dix ans. On augmenterait par ce moyen cette classe d’hommes dont la France a besoin…. »
De plus, au 18ème siècle les économistes avaient tiré la sonnette d’alarme. Des statistiques faisaient état d’une dépopulation d’où l’intérêt de la conservation du plus grand nombre des forces vives de la nation. Il est à noter également qu’elles pouvaient servir à autre chose qu’à peupler les colonies grâce à cette main d’œuvre tombée du ciel. De nombreuses guerres de Louis XIV jusqu’au second empire entraîneront des besoins militaires. Nombre de jeunes gens se retrouveront enrôlés dans l’armée.
Se débarrasser d’une menace pour la paix sociale
Au 19ème siècle, la conservation des enfants trouvés ou orphelins obéira à de multiples intérêts : charité sans perdre de vue l’objectif de la rentabilité en récupérant leur force de travail. Autre argument qu’il ne faut pas sous-estimer : assurer une certaine paix sociale à la France en éloignant du territoire français vers les colonies une population qui sera ressentie pendant longtemps comme une menace et une source possible de conflits. C’est dans ce contexte que le Comte Jean de Luc de 1844 à 1850 a pu fonder un réseau de colonies agricoles aux Vallades à Rétaud, à la Ronce près de La Tremblade et enfin à Medjez-Amar en Algérie afin de recueillir des enfants dès l’âge le plus tendre jusqu’à l’âge de 20 ans pour les former aux métiers de l’agriculture et de l’horticulture.