Sylvie Cadolle, sociologue : en dehors du mariage, comment assurer un père aux enfants ?

Les nouvelles formes de parentalité et le droit

De l’incompatibilité de la paternité avec la liberté des femmes.

Source : Sénat.fr

Présomption de paternité

Principe suivant lequel l’enfant est présumée avoir pour père le mari de la mère, soit parce que c’est un enfant conçu pendant le mariage soit parce qu’il a été conçu avant mais est né pendant. Cette présomption peut être contestée dans plusieurs hypothèses, notamment lorsque les époux étaient dans une période de séparation légale.

Article 312 : L’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari.

L’origine et la pérennité du couple

Le mariage instituait les pères, attribuant au mari les enfants de la mère, donnant une parenté paternelle aux enfants légitimes. « La mère est toujours certaine, le père est celui que les noces désignent. » Les enfants dont les parents n’étaient pas mariés n’étaient que des bâtards. La dynamique de l’égalité des sexes a bouleversé le fondement de la filiation qui reposait sur le mariage. On sait que la pérennité du couple était assurée par la domination du mari. La conquête par les femmes de l’égalité des droits a accentué la dimension contractuelle du mariage et a changé profondément le couple. Le mariage d’amour implique la possibilité de la rupture. Le mariage moderne, conversation entre deux égaux, implique que les deux trouvent de l’agrément à rester ensemble, ce qui donne tout son prix à la relation conjugale, mais la fragilise et fragilise du même coup la paternité. Dès le milieu des années 60, le nombre de divorces a augmenté, passant de 30 000 par an à plus de 125 000 en 2003. L’indice de divortialité s’élève ainsi aujourd’hui à 42,5 %.

La coparentalité remplace le mariage

Le premier problème, le plus massif, réside dans la fragilisation de la paternité entraînée par le démariage : notre société s’efforce, pour y répondre, d’instaurer la norme récente de la coparentalité, qui laisse dans l’ombre le beau-parent des familles recomposées.

Vers la pluri-parentalité pour remplacer la filiation exclusive

Le second problème concerne les enfants dont la situation fait apparaître les contradictions entre filiation et parentalité, ou entre les différentes composantes de la parenté (biologiques, généalogiques, électives ou affectives) et ceux dont les liens biologiques ne sont pas établis. Pour ces derniers, instituer une pluri-parentalité constitue la perspective à promouvoir, mais nous nous heurtons alors à cette norme ancienne de l’exclusivité de la filiation.

Tout d’abord, on constate une fragilisation de la paternité.

Aujourd’hui, le mariage est devenu une question de conscience individuelle. Les couples sont de plus en plus nombreux à ne penser au mariage qu’au moment de la vie où s’accroît le risque d’un décès qui pourrait les séparer. Le pluralisme des couples est un acquis de notre droit : couples mariés, unis par le PACS, en union libre, homosexuels ou hétérosexuels.

Le mythe de la paternité

Le mariage des parents ne différencie plus désormais les enfants, même si la présomption de paternité, qui est le cœur du mariage, a été conservée. Pour rappel, le nombre de naissances hors mariages est passé de 6 % en 1972 à 11,4 % en 1980 et 45,2 % en 2005.

Vers la féminisation, puis la disparition du père

Le problème majeur de l’évolution sociologique de la famille aujourd’hui, qui cristallise bien des craintes, est celui de la paternité. Celle-ci est en train de se recomposer sur le plan des normes. Avec la disqualification du père macho, la pénalisation de la violence familiale, l’indépendance économique des femmes, l’exercice de la paternité se cherche. Doit-il y avoir une différenciation des rôles entre un père et une mère ? Le père ne risque-t-il pas de n’être qu’une mère bis, moins expérimentée ? Après la séparation du couple, l’exercice de la paternité est encore plus difficile : beaucoup d’enfants de parents séparés perdent contact avec leur père.

La monoparentalité, une nouvelle norme sociale de la précarité

La montée de ce que l’on appelle la « monoparentalité paternelle » inquiète, car elle est souvent corrélée avec la pauvreté des enfants et un exercice difficile des responsabilités éducatives. En 1999, 18,6 % des familles avec enfants étaient des familles monoparentales. 2,7 millions d’enfants vivent dans un foyer monoparental, chiffre en progression de 11 % par rapport à 1990. Dans ces foyers monoparentaux, 85 % des enfants de parents séparés vivent avec leur mère et 9 % avec leur père, même si ces chiffres évoluent légèrement du fait de la montée en puissance de la résidence alternée.

Père absent, fils manqué

Parmi les enfants qui ne vivent pas avec leur père, 50 % le voient au moins un week-end sur deux, mais un enfant sur trois ne le voit plus. Cet effacement des pères est souvent rendu responsable de bien des maux sociaux et du mal-être des enfants. Mais en dehors du mariage, comment assurer un père aux enfants ?

Résistance du dogme du sang paternel

Alors que le fondement de la filiation sur le mariage est fragilisé, la force du principe de l’indissolubilité du lien de filiation se développe et se substitue à l’indissolubilité du couple. Notre société énonce que l’enfant a besoin de ses deux parents, que le couple parental doit survivre au couple conjugal, que l’on ne divorce pas de ses enfants. La norme édictée par la loi de 2002 est désormais le maintien des relations personnelles avec l’enfant de la part de ses deux parents. Mais la coparentalité est un idéal que chaque réforme du droit de la famille cherche à instituer davantage. Il s’agit d’inciter les deux parents à jouer pleinement leur rôle après leur séparation : la famille de l’enfant de parents séparés ne doit plus être ni monoparentale, ni recomposée, mais véritablement bifocale. L’enfant continuerait en effet à bénéficier du soutien de ses deux parents et circulerait entre ses deux domiciles. La résidence alternée apparaît donc comme le moyen privilégié de réaliser la coparentalité et de réassurer les liens avec le père.

Un idéal irréaliste

En fait, les enquêtes sociologiques montrent que la résidence alternée n’est viable que si les deux parents ont confiance dans les capacités éducatives l’un de l’autre, et qu’elle est particulièrement exigeante pour les parents et les enfants ainsi que coûteuse financièrement et psychiquement. Beaucoup d’ex-conjoints ne peuvent ni ne veulent rester en aucune manière un couple, même parental. Notre idéal est peut-être irréaliste.

DÉBAT

Un internaute :

  • Mais il faudrait peut-être redéfinir le système de parenté. Je croyais que celui-ci était bâti sur le fait de concevoir, sur les liens du sang. A partir du moment où il suffit d’élever, peut-on encore parler de lien de parenté ? Je ne le pense pas.
  • Au regard de la fréquence des divorces, qui se sont banalisés, et de l’homoparentalité, qui bouleverse tout l’édifice construit jusqu’à présent, l’évolution actuelle nous conduit droit vers des problèmes de société et de santé. Aujourd’hui, les enfants s’élèvent seuls, dans la rue, et nous voyons naître beaucoup de petits caïds ; des drames peuvent naître à la suite des héritages ; la prise en charge des parents n’est plus assurée par les enfants. Toutes ces questions devront être prises en charge par la société. Je me demande si nous ne nous dirigeons pas vers un modèle de société difficile à gérer.

Sylvie Cadolle :

  • Sur le mythe de la filiation paternelle :

    Selon vous, la filiation a un fondement biologique. L’importance que l’on accorde au biologique relève de phénomènes culturels. Il existe bien d’autres possibilités d’assurer la filiation : chez les Romains, qui avaient construit une société bien structurée…

    Elle a tout de même tenu pendant quelques siècles ! L’adoption y jouait un rôle considérable. Le fait que la filiation ne repose pas uniquement sur le biologique n’est pas une nouveauté. Dans l’Ancien Régime, elle reposait sur le mariage. Il s’agissait d’une fiction : le mari de la mère devenait le père de l’enfant. On ne peut en aucun cas dire que la filiation reposait sur le biologique. Cette idée n’a d’ailleurs jamais été une évidence dans aucune société.

  • Quand vous parlez de « parentalité », que voulez-vous dire ?

    Il s’agit d’un néologisme, créé pour distinguer la parentalité de la parenté. Un système de parenté est constitué de l’ensemble des personnes qui composent une lignée, ensemble beaucoup plus vaste que les seuls liens paternels et maternels désignés par le terme de parentalité. Par ailleurs, la parentalité se décompose : le lien généalogique n’est pas toujours le lien affectif, ce qui n’est pas non plus d’une grande nouveauté. Dans toutes les civilisations, dans toutes les cultures, les enfants ont été très fréquemment élevés par d’autres personnes que par leurs parents biologiques. La mise en nourrice, le fosterage sont aussi des pratiques très anciennes. Idem pour les familles recomposées : elles l’étaient déjà auparavant, après un veuvage, et leur nombre était même probablement plus important au XVIIe siècle qu’aujourd’hui.

  • La garde alternée n’apporte-t-elle pas une modification profonde en supprimant le principe d’une garde dominante ? Ce système a-t-il une chance de fonctionner ?

    La résidence habituelle est partagée. Si cette solution convient à tout le monde, elle semble idéale. Conceptuellement, elle permet une véritable coparentalité. Dans la réalité, les familles rencontrent de réelles difficultés. La résidence alternée implique d’abord la proximité géographique. Celle-ci peut s’instaurer juste après la séparation, mais devient plus gênante avec le temps, surtout au moment de la recomposition de chacun des membres du couple : on n’a pas toujours la possibilité de faire vivre la personne que l’on a choisie à proximité de l’endroit où habitent nos enfants.

    D’autre part, la résidence alternée est coûteuse financièrement. Elle est donc réservée aux milieux économiques et socioculturels les plus aisés : il faut une chambre, un ordinateur, une chaîne hi-fi, des rollers, etc. dans chaque maison, tout doit exister en double exemplaire. Quant aux trajets, ils ne posent pas de problèmes lorsque les enfants sont petits, mais les jeunes renâclent au moment de l’adolescence. Ils n’ont pas envie de passer leurs week-ends chez leur parent extérieur car leurs amis, leurs affaires sont à domicile, etc.

    Souvent, même si nous manquons de recul, la résidence alternée apparaît comme une solution provisoire : quand les jeunes s’aperçoivent que leurs parents ne souffrent pas trop, ils choisissent le plus souvent de rester avec leur mère, qui reste davantage à leur disposition. Les enquêtes que j’ai menées sur le sujet ont essentiellement porté sur des intermittents du spectacle, des médecins, des avocats, des enseignants.

Une internaute :

  • De l’instabilité traumatisante de la coparentalité : Concernant le statut des beaux-parents, je pencherais comme vous, Madame, pour une délégation de l’autorité parentale. Néanmoins, le risque d’une séparation par la suite existe, qui pourrait être traumatisante pour l’enfant, alors confronté à différents liens d’autorité. Si l’on doit opter pour cette solution, il faudra se munir de garanties sévères en matière de stabilité avant d’autoriser ce genre de délégation.
  • Le père violent pour modèle coparental ? : J’estime par ailleurs que la coparentalité pose problème lorsqu’on sait que nombre de séparations sont dues à des violences. Je vois mal, dès lors, comment le père peut être un modèle pour l’enfant. Dans ce cas de figure, n’y a-t-il pas un blocage à cette notion de coparentalité, qui constitue certes un modèle idéal en cas de séparation ?

==> Pour lire la suite : Sénat.fr

La solution alternative proposée par le Mouvement Matricien :

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La Famille Choisie Associative
Le projet Prométhée consiste à créer des familles sous forme d’associations, afin de générer et garantir de la solidarité, et transmettre des biens collectifs sans héritage. Il s’agit pour chacun d’échanger de la solidarité contre la mutualisation d’une partie de ses biens.
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