Matriarcat de Karakoum (Turkménistan) : le 1er roi-père vole le Saint Graal de la déesse-mère

Dans le désert du Karakoum, au Turkménistan, une civilisation très raffinée et non guerrière a été mise au jour dans les années soixante-dix. Les sépultures ne révélèrent aucune arme, mais beaucoup d’objets d’art mettant en valeur la beauté. Il s’agissait bien sûr d’une société fondée sur la matrilinéarité. Ses habitants vivaient en paix et la prospérité régnait ; leur agriculture était florissante grâce à une irrigation très poussée. Il semble que cette civilisation ait disparu vers 3000 av. J-C,  après la prise du pouvoir par celui qui,  selon la tradition locale, serait le  premier roi de l’humanité.

La civilisation des oasis

La « civilisation des oasis », vieille de 5 000 ans, n’a pas encore livré tous ses secrets. Sur le site d’Adji Kui, un chantier de fouilles archéologiques s’installe dans les sables du Karakoum. Les sépultures sorties de terre confirment l’existence, au troisième millénaire avant J.-C., d’une civilisation urbaine très avancée et offrent des indices saisissants sur les modes de vie et les croyances des habitants d’une cité qui se dressait là il y a 5 000 ans. Les 7 cités de la civilisation des oasis comptaient plusieurs dizaines de milliers d’habitants, elles étaient entourées de champs irrigués.

Une société raffinée de femmes puissantes et de déesses

Raffinés, ils attachaient une grande importance à la beauté, et les femmes jouissaient d’un grand prestige. Parmi les divinités, un hommage particulier était rendu à la fécondité. La mise au jour de statuettes féminines confirme l’intuition des archéologues : il s’agissait d’une société fondée sur le matriarcat. La fouille des tombes permet de découvrir de nombreux objets en bronze utilisés pour les produits de maquillage, montrant l’importance de la beauté dans cette société par le caractère très raffiné de ces objets. Dans la nécropole, la caractéristique des tombes de femmes est de comporter des sceaux, emblèmes du pouvoir sur le contrôle des marchandises. Dans cette société matriarcale dominée par les ressources agricoles les divinités rendent hommage à la féminité.

Le premier roi de l’humanité, ou l’avènement du patriarcat

Pourtant, une découverte surprenante, une série d’amulettes racontant l’un des premiers grands récits connus de l’histoire de l’humanité, vient bousculer ces premières conclusions, et qui permettent d’identifier un point de rupture dans la civilisation des oasis, passée du matriarcat au patriarcat. Les dessins portés par ces objets racontent en effet l’histoire d’Etana, le premier roi de l’humanité. Quand celui-ci scella un pacte avec l’Aigle, victime du Serpent vengeur, il parvint à rencontrer la grande Déesse du Ciel, qui lui assura une fécondité dont il était privé jusqu’alors et lui permit d’établir une dynastie.

Le secret de la fécondité d’Inanna

La ville d’Adji Kui est entourée d’un mur de fortification de 2 mètres d’épaisseur et couvre une surface de 10 ha. Plusieurs amulettes trouvées dans des tombes présentent les mêmes décorations : l’aigle et le serpent, ces amulettes constituent une sorte de puzzle racontant un mythe : celui d’Etana, 1er roi, berger monté au ciel sur le dos d’un aigle pour trouver auprès de la déesse Inanna le secret de la fécondité ( la plante de l’enfantement ou le breuvage de la vie ). Redescendu sur terre Etana assure sa succession. Ce mythe dévoile un fait historique : le passage d’une culture matriarcale et agricole à une culture patriarcale et guerrière.

Le pasteur, qui est monté au Ciel et a mis de l’ordre dans tous les pays

Etana est un personnage légendaire de l’histoire de la Mésopotamie, qui était peut-être à l’origine un personnage ayant réellement existé et a finalement été mythifié, comme les rois d’Uruk Enmerkar, Lugalbanda ou Gilgamesh.

Etana est le roi de la ville de Kish. Il apparaît à ce titre dans la liste royale sumérienne, où il est présenté comme le « pasteur, qui est monté au Ciel et a mis de l’ordre dans tous les pays ». Ce même texte lui attribue un règne d’une durée de 1 500 ans.

Il est le personnage principal d’un récit nommé mythe d’Etana, dans lequel il tente d’atteindre le Ciel (ce qui renvoie à l’allusion de la liste royale sumérienne), dans le but d’obtenir une plante qui lui permettra de pouvoir avoir un fils qui lui succédera sur le trône de Kish. La fin de ce texte étant manquante, on ne sait pas s’il réussit dans son entreprise, même si cela est vraisemblable, la liste royale lui attribuant un fils du nom de Balih pour successeur.

Voler le pouvoir des mères

Etana veut voler le secret des femmes à la déesse mère, avec l’aide de l’aigle, c’est le début du patriarcat au 3ème millénaire avant JC ( Uruk, Elam, Harapa ) où toutes les dynasties deviennent patrilinéaires. Apparaissent à cette période des statuettes masculines dans un contexte de statuettes auparavant féminines, symbole d’un changement de civilisation, celles-ci étant la version masculine d’un culte dédié à la fécondité.

Un mythe sumérien

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A l’origine des mythes du monde aryen

Les recherches menée par le chercheur italien Gabriele Rossi-Osmida au Turkmenistan, dans le désert de Karakoum, ont permis de reconstituer l’histoire complète d’Etana. Paul Delarue indique que ce récit a survécu dans des traditions orales de nombreux pays, mais aussi dans des œuvres écrites, comme le Roman d’Alexandre, écrit en grec au iie siècle et dont la forme française du xiie siècle a connu un grand succès. On retrouve des aspects du mythe dans des contes traditionnels aussi bien celtiques que slaves.

Le récit commence par l’histoire d’un serpent et d’un aigle, liés d’amitié avant que le second ne mange les enfants du premier. Celui-ci va chercher conseil auprès de Utu, le dieu-soleil (Shamash en akkadien), qui lui dit de piéger l’aigle en se cachant dans le cadavre d’un bœuf, et d’attendre que le volatile s’approche, pour le capturer. C’est ce que le serpent fait, avant de jeter l’aigle dans un trou après l’avoir molesté pour l’empêcher de s’envoler, et il dépérit.

La première civilisation patriarcale

C’est alors qu’entre en scène Etana, le roi de Kish, qui désire ardemment un fils et sollicite le dieu à cet effet. Utu lui répond que la solution serait d’obtenir une « plante d’enfantement », qui se trouve au Ciel, là où résident les dieux. Pour se rendre dans ce lieu inaccessible aux mortels, il lui conseille de sortir l’aigle du trou et de le soigner : l’aigle l’aidera alors à trouver la plante. Dans un premier temps, l’aigle ne veut pas l’aider ; il ne cède qu’après qu’Etana l’ait longuement imploré.

La plante d’enfantement

Etana s’envole donc vers le Ciel sur le dos de l’aigle. Après un long vol, il ne voit plus la Terre, et s’approche du Ciel. Il trouve dans le Ciel la déesse de la féminité à qui il demande le don de la fertilité (« plante d’enfantement »). Celle-ci accepte. Avec le don de la fertilité, Etana s’assure le pouvoir de la succession patri-linéaire. La Liste royale sumérienne indique que Etana a eu un fils comme successeur. Etana devient le premier détenteur masculin du pouvoir royal de l’histoire. C’est le début de la fin de la matri-linéarité.

L’aigle et le serpent

Hindouisme, arbre de vie, et Saint Graal de la Déesse-Mère

Ce mythe pourrait être l’origine du Saint Graal, et la version originelle de celui de l’hindouisme faisant intervenir Vishnou (le dieu), Garuda (l’aigle), et le Naga (le serpent).

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Un des plus anciens mythes connu est celui de l’aigle et du serpent, attesté en différents endroits de la planète jusqu’au Vème millénaire av. J.C, nommé mythe d’Étana dans des textes cunéiformes datant du IIème millénaire av. J.C. en Mésopotamie, et que l’on retrouve transcrit sur des sceaux cylindriques en pierre, sous forme de bande dessinée et pour la première fois dans sa version complète lors de fouilles archéologiques récentes dans le désert du Karakoum, au Turkménistan, dans les vestiges d’une société vieille de cinq mille ans, où les femmes avaient au départ un fort pouvoir comme l’exclusivité du contrôle des marchandises.

Il y a un aigle qui vit dans un arbre et un serpent qui vit dans les racines. L’aigle et le serpent vivaient en bonne entente au sein de l’arbre de vie. Un jour l’oiseau conçoit en son cœur de mauvaises pensées et décide de manger les œufs du serpent. Sur les conseils des dieux, le serpent prépare sa vengeance et se dissimule à l’intérieur d’un animal mort. Lorsque l’aigle se pose pour dévorer la carcasse, il se dresse devant lui, l’affronte et le jette au fond d’un trou où il dépérit. Étana a été nommé roi par les dieux, mais il ne sait comment assurer sa succession car il ne peut avoir d’enfant. Il se rend au trou de l’aigle où l’oiseau dépérit depuis qu’il a trahi le serpent et lui propose un marché. Je te libère et je te soigne si tu m’emmènes dans le ciel là où réside la déesse de la fertilité. L’aigle accepte. Au bout de son voyage, Étana rencontre la déesse. Après avoir écouté son histoire, elle lui tend une coupe contenant le breuvage de la vie qui va lui permettre de procréer et d’assurer sa succession.

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Avec ce vol du secret de la vie aux mères, ce mythe témoignerait de l’évolution de cette société des oasis vers le patriarcat, changement culturel qui à cette époque avait déjà touché l’ensemble du monde antique. On y trouve alors des statuettes masculines avec sexe en érection, version masculine des statuettes féminines dédiées au culte de la fécondité, témoignant du passage progressif à un système gouverné par les pères.