Matriarcat Khasi (Inde) : déesses-mères des mégalithes, et meilleure scolarisation du pays

Un pouvoir tribal matrilinéaire

La plus grande société matrilinéaire de lad planète après les Minangkabau d’Indonésie, la société Khasi compte 5 millions d’âmes. C’est la population du district unifié des montagnes Khasi de l’État autonome du Meghalaya, dans le nord-est de l’Inde (quelques-uns sont dans l’Assam, ou dans d’autres États de l’Inde). Les Khasis vinrent peut-être jadis du Tibet à travers la Birmanie. Leurs langues appartiennent en tout cas au groupe tibéto-birman. Ils parlent le môn-khmer. Le pouvoir s’y transmet de mère en fille depuis toujours. La transmission des biens et l’héritage se font par les femmes, de la mère à la plus jeune fille.

La propriété des grandes prêtresses

Ici la maison, les biens immobiliers et les beaux bijoux de famille ne se transmettent pas seulement en ligne maternelle, mais sont détenus par les femmes de la lignée maternelle, c’est-à-dire qu’ils passent de la mère à la fille. Dans une certaine localité même, la dignité de grand prêtre est occupée par une femme, et celle qui lui succède est choisie parmi ses parentes. Ce serait, cependant, une grave erreur que d’en inférer que l’homme ne compte pour rien dans les communautés Khasi. La souveraineté politique se transmet en ligne féminine, mais d’un homme à l’autre; c’est seulement en l’absence d’héritiers mâles que la femme est appelée à succéder; dans la suite elle passe sa charge à son fils et non à sa fille.

Les reines du commerce

L’exploitation et l’organisation de la propriété sont cependant aux mains des hommes qui se trouvent rattachés à ces femmes, et non aux mains des femmes propriétaires elles-mêmes. Dans cet Etat tribal, ce sont les femmes qui gèrent les affaires du foyer : propriétaires de petit commerces, elles sont habituées à prendre des décisions. Les femmes y sont reines du commerce : « Nous sommes plus aimables et nous avons le sens du commerce. Les hommes s’énervent trop vite », confie une marchande. Dans la plupart des cas, ce sont elles qui travaillent et gagnent l’argent du ménage, tandis que leurs maris restent à la maison pour s’occuper des enfants.

Mariages libres & liberté sexuelle

Garçons et filles choisissent librement leur conjoint. Les filles cadettes sont très recherchées, car elles hériteront de la propriété. Divorce et remariage sont permis. Les mœurs sont donc assez libres, et les filles-mères ne posent pas problème. La façon de choisir le prénom des enfants est une des plus curieuses coutumes khasies. Un homme récite une liste de noms et en même temps verse un verre d’alcool : le nom qui coïncide avec la dernière goutte sera celui de l’enfant (on peut donc supposer que les premiers prénoms de la liste ne sont jamais portés!).

Sans vie conjugale, et sans père réel

La résidence du couple marié est généralement matrilocale. Les fils quittent le foyer de leur mère après le mariage (sauf dans les collines Jaintia), pour vivre avec leur épouse dans la maison de leur belle-mère. Dans les collines Jaintia, les fils restent vivre avec leur mère, et sont des visiteurs privilégiés chez leur épouse. Ce qui a pour conséquence une diminution de l’autorité paternelle, remplacée par l’autorité de l’oncle maternel, le frère de la mère. Le fonctionnement de la famille tourne autour de la fratrie utérine, où la mère est la tête de la famille, et où l’oncle maternel est l’autorité qui prend les décisions. L’homme, en tant que mari, n’a que peu d’autorité dans les affaires familiales de son épouse, mais il a autorité uniquement dans sa maison maternelle.

Une mythologie sans père ni mari

Derrière les mythes associés à l’origine des clans Khasi, la plupart des contes font référence au système matrilinéaire, où l’on n’y trouve pas de place pour les pères. Il apparaît, à la lumière de ces contes, que les femmes n’avaient pas de mari, puisqu’aucune référence n’y est faite. On trouve de nombreuses femmes avec leurs enfants, mais sans leur père. On parle seulement du rôle de la mère, qui est glorifié. Elle est considérée comme la déesse du foyer (Ka Blei Ling).

Les déesses-mères des richesses et du bien-être

L’importance centrale de la mère chez les Khasi est aussi visible dans les conceptions religieuses. Dans le système religieux Khasi, toutes les divinités liées au bien-être familial et social sont invariablement féminines, telles : Ka Blei Synshar (la déesse suprême), Ka Sgni Sun (la déesse régnante), Blei Rymmaw (la Mère Terre), Ka Thlang (la déesse des récoltes), Ka Taro (la déesse de la richesse), Ka Blei Iew (la déesse du  marché), Ka Blei Mynso (la déesse des accidents), Lukhimai Ka Blei Iing, la gardienne protectrice du foyer…

Les dieux mâles protecteurs

Les divinités des eaux (procréation et richesse) sont femelles, et les divinités des collines sont mâles. Les divinités mâles sont des protecteurs et non des producteurs de richesses. Ils sont associés à l’administration et à la protection du territoire, tels : U Lei Muluk (dieu de l’Etat), U Basa Shnong (dieu du village), U Lei Shillong (dieu de la capitale Shillong), U Blei Lyngdho (dieu des bosquets sacrés)…

Les clans des 7 mères primordiales

Les Khasi ou Khassia s’appellent eux-mêmes Hynniewtrep (« Sept Hutter », ou « Sept Clans ») – ce nom regroupe les Khasi, les Jaintia, les Bhoi et les War. Les clans et les Etats tracent tous leur origine à travers des femmes ancêtres : 7 femmes et 7 familles (Ki Hynniew Trep) enfantèrent de l’humanité. L’importance de la femme ancêtre dans les rituels Khasi-Jaintia est aussi remarquable. Dans le Pomblang, les libations sont offertes en premier à la Lei Long Syiem, la mère du chef de clan (Syiem). La prêtresse de ce rituel est la sœur du chef. Les libations sont ensuite dédiées aux soeurs du chef. La population khasi comporte un certain nombre de clans matrilinéaires dont les membres se considèrent comme descendants d’un ancêtre féminin commun (khur). Les membres d’un khur ont une même sépulture dans laquelle les os de tous les morts sont enterrés. L’unité lignagère la plus importante est le iing. Celui-ci a une continuité verticale sans extension sur le plan des collatéraux. L’établissement d’une nouvelle maison par une femme khasi avec son mari implique la constitution d’un nouveau iing, séparé de son iing natal non seulement sur le plan résidentiel mais aussi sur le plan sociologique.

Une démocratie tribale en lutte pour l’indépendance

L’organisation sociale est aussi très démocratique : un conseil des aînés, qui se réunit sous la présidence du membre le plus âgé de la communauté, prend des décisions au nom du dieu U-Blei-Nang-Pha, le Créateur. Interdit par le gouvernement indien depuis le 16 novembre 2000, le conseil de libération nationale du Hynniewtrep poursuit, en 2008, sa lutte armée pour l’indépendance khasi dans le Meghalaya.

Un clan guerrier matriarcal chassé par les musulmans ?

Gurkhas KhasiLes Gurkhas sont des unités des armées britanniques et indiennes recrutés au Népal. Initialement, sous leur nom original, les Gorkhas étaient des membres du clan rajput Khasi de l’Inde du Nord, qui ont émigré du Rajasthan vers le territoire actuel du Népal, au xvie siècle, chassés par les musulmans. Leur langue, le gorkhalî, un dialecte indo-européen proche du hindî, est devenu la langue commune du Népal sous le nom de népalî ou népalais.

Un peuple mégalithique

Les menhirs sont des phallus, et les dolmens des utérus. Selon Heide Goettner Abendroth, les pierres horizontales sont les Mères-Ancêtres, et les verticales les autres membres du clan. Les mégalithes sont un culte des ancêtres.
On trouve très souvent des mégalithes en pays khasi, isolés ou plus souvent en groupes, avec à la fois des pierres dressées et des tables. Le plus connu et le plus impressionnant de ces ensembles est celui de Nartiang. Ces sites préhistoriques sont mis à profit par les populations locales comme lieux de rassemblement pour les marchés de campagne, les pierres servant alors de sièges. Ces tombes géantes, cercles de pierres dressées, et tables de pierre pour sacrifices, couvrent l’ensemble de l’Inde. Les gens s’y rassemblent toujours pour célébrer les solstices d’été et d’hiver, et les l’équinoxes de printemps et d’automne.

Au nord-est du Bengale, les hautes terres de l’Assam ont été souvent qualifiées d’« Écosse indienne ». Lorsque l’Assam entre sous tutelle britannique en 1828, les journaux de Calcutta commencent à évoquer les grandes pierres dressées qui parsèment les montagnes khasi. Les Khasi « sanguinaires » les érigent encore, à l’époque, lors de funérailles secondaires. Après la « pacification » du pays, le naturaliste Joseph Dalton Hooker décrit dans son journal de voyage un de ces monuments comme un autre Stonehenge, particulièrement « pittoresque » par son entourage de banyans et d’orchidées rares (Hooker 1855 : 312-313). L’anthropologue Edward T. Dalton a mené une vaste enquête, dont il publie les résultats en 1872. Il note ainsi que les monuments khasi (ibid. : 62) :

[…] rappellent fortement ces ensembles de monuments mystérieux et solitaires d’origine inconnue, depuis si longtemps une énigme et un délice d’antiquaires, qui abondent dans notre propre pays, et sont visibles ici et là dans toutes les régions d’Europe et d’Asie occidentale. Il est probable que les pierres, si on les compare au Stonehenge des Nilghiries, furent érigées par un peuple qui honorait ses morts comme le font les Kasia, et que les similarités de coutumes sur ce point indiquent quelque lien entre les Kasia, les Ho de Singhbhum et plus généralement la race munda de la province du Chota Nagpur.

La préférence pour les filles

La préférence des parents pour les garçons est une caractéristique prédominante dans la majeure partie de l’Inde, où les filles sont considérées comme une charge et où il est fréquent d’éliminer les fœtus de sexe féminin. Toutefois, dans l’Etat de Meghalaya, au nord-est du pays, les parents prient pour avoir des filles plutôt que des fils. L’enquête nationale sur la famille et la santé de 2005-2006 révélait d’ailleurs que le Meghalaya est l’Etat indien où le ratio entre les sexes est le mieux équilibré. Car ici, la préférence pour les garçons est une chose qui n’existe pas. L’avortement sélectif et l’infanticide féminin n’ont pas cours, de même que les mariages arrangés ou la pratique de la dot.
Les hommes, eux, n’héritent de rien et en cas de divorce ils perdent tout. Chez les Khasi, c’est donc pour avoir une petite fille que l’on prie. « Si les parents ont un garçon, vous entendrez des choses comme : « Bon, OK, ça va aller ». Mais si c’est une fille, ce sera une explosion de joie et des applaudissements. » — Propos recueillis par Le Point

Sans domination d’un sexe sur l’autre

La société Khasi ne souffre d’aucun préjudices à l’encontre des femmes, tels qu’on peut les observer dans toutes les sociétés patrilinéaires. Le système matrilinéaire protège le statut des femmes dans la société. Il n’y a pas de domination d’un sexe sur l’autre. Les femmes, en tant que mère, et gardiennes de la religion et de la propriété, ont une position très enviable dans la société.

La société la plus scolarisée de l’Inde

L’on constate aussi que l’éducation au Meghalaya est plus importante que pour le reste de l’Inde et la grande majorité des enfants ont ainsi accès à la scolarité, même au sein des villages reculés où des pistes sont tracées et des bus disponibles. Cependant, un grand nombre d’entre eux reste très peu scolarisé voire pas du tout. Au niveau de l’ensemble de l’Etat du Meghalaya, le sexe féminin est presque aussi alphabétisé que le masculin (60, 41 % contre 66,14 %).

Des mutations sociales, économiques et religieuses

Près de 80% des Khasi sont chrétiens depuis la colonisation anglaise, mais ici les maris sont vus simplement comme la « côte droite des femmes », selon une lecture particulière de l’Ancien Testament. Cet usage matrilinéaire est cependant battu en brèche. La conversion des Khasi au christianisme a, en effet, entraîné un conflit entre les obligations rituelles de la religion tribale et les exigences de la nouvelle religion ; à cela s’ajoute le droit d’établir des testaments pour les biens acquis par le testateur. Le riz fournit l’essentiel de la subsistance : il est cultivé au fond des vallées et sur les terrasses établies sur les flancs des collines. Beaucoup de paysans emploient encore la méthode jhum, incendiant la jungle pour obtenir une récolte sur la cendre pendant un ou deux ans. La culture actuelle de la pomme de terre est une culture sur brûlis analogue au jhum avec une rotation de trois à cinq ans. Des offres ont été faites à ces cultivateurs itinérants pour les sédentariser et leur faire adopter des méthodes conventionnelles, plus productives.

Les hommes d’une tribu matrilinéaire en Inde réclament l’égalité des sexes

Un autre courant de revendication masculin milite pour un retour à une forme de semi-endogamie, afin que les enfants issus de pères étrangers à la tribu soient exclus, avec leur mère, de la société.

Julien Bouissou – Le Monde, 29 décembre 2010, p. 5

Chez les Khasi, la mère transmet son nom à ses enfants et les filles héritent du patrimoine, sans pour autant accéder aux postes-clés du pouvoir. 60 ans passés, Kaith Pariat ne veut plus « jouer aux baby-sitters » et encore moins subir la loi de sa belle-mère. Il vit cet enfer depuis déjà trop longtemps. Depuis le premier jour de son mariage, exactement. L’homme d’affaires, enfoncé dans un fauteuil de cuir, a le regard qui s’assombrit quand il plonge dans ses souvenirs : « Imaginez le traumatisme : vous quittez le domicile maternel pour devenir, du jour au lendemain, un paria dans la famille de votre belle-mère. Vous vivez sous ses ordres. Vous devenez un domestique, un bon à rien. »

La tribu des Khasi, qui compte environ un million de membres dans l’Etat du Meghalaya, à l’est de l’Inde, est l’une des rares communautés du pays à respecter la tradition matrilinéaire. La plus jeune des filles hérite du patrimoine, la mère transmet son nom de famille à ses enfants et, enfin, le fils, une fois marié, doit partir habiter chez sa belle famille.

« C’est uniquement la mère ou la belle-mère qui s’occupe de son enfant. L’homme n’a même pas le droit de participer aux réunions de famille. Il a contre lui un clan : celui de sa femme, de sa belle-mère et de ses enfants. Alors, il ne lui reste plus qu’à jouer de la guitare, chanter, tomber dans l’alcoolisme et mourir jeune », conclut d’une voix grave Kaith Pariat.

Au Meghalaya, les hommes appartiendraient au sexe faible. D’où le combat que mène Kaith Pariat contre la toute-puissance des femmes grâce à l’Association pour la réforme de la structure familiale. Et son combat va même au-delà de l’égalité de sexes. « L’homme est doté d’un leadership naturel. Il doit protéger la femme, qui, en retour, doit le soutenir », affirme-t-il.

La tradition matrilinéaire remonte à des temps immémoriaux, au point d’être ancrée dans la structure même de la langue khasie. Le genre masculin est réservé aux objets inanimés, qui n’ont pas encore pris forme. Le bois découpé des arbres est masculin, tandis que celui transformé, sculpté, a droit au genre féminin.

D’après Valentina Pakyntein, anthropologue à l’université de Shillong – la capitale du Meghalaya -, le système matrilinéaire daterait d’avant l’institution du mariage, quand les Khasi avaient des partenaires sexuels multiples et qu’il était difficile de déterminer la paternité des nouveau-nés. Mais les membres de l’Association pour la réforme de la structure familiale penchent plutôt pour cette autre explication : leurs ancêtres partaient trop longtemps sur les champs de bataille pour pouvoir s’occuper de leur famille.

Les Khasi jouissent encore aujourd’hui de nombreux privilèges, en tant que tribu répertoriée par l’Inde, et leurs lois sont protégées par le Khasi Hills Autonomous District Council. Leur taux d’imposition est moins élevé, les terres situées dans les zones tribales leur sont préservées, et ils bénéficient de quotas à l’entrée des universités ou dans l’administration.

« Les hommes de la plaine, des étrangers peu scrupuleux, se marient avec les femmes khasies pour profiter de tous ces privilèges », s’agace Kaith Pariat. Autant de privilèges qui mettraient donc en péril la survie de la tribu. « Mais c’est, de toute façon, la femme qui transmet l’héritage et le nom de la famille, tempère Patricia Mukhim, la directrice du quotidien régional Shillong Times. Je crois plutôt que les hommes khasis se sentent diminués dans leur virilité en se comparant aux étrangers. C’est dommage, car c’est ce qui nous distingue des autres. »

A Shillong, les femmes s’habillent en jupe pour aller à la messe, portent du rouge à lèvres et conduisent, les vitres baissées, en écoutant du rock. Elles n’hésitent pas à revendiquer les plaisirs du célibat. Une exception, dans un pays où la pression du mariage est omniprésente, quelles que soient la couche sociale ou la génération à laquelle on appartient.

« Pourquoi s’embarrasser d’un mari ? J’ai déjà une famille et je veux consacrer mon temps à ma carrière professionnelle », explique Rosanna Lyngdoh, une femme de 38 ans qui vit avec sa grande famille dans une maison de 21 chambres.

En Inde, où 35 % des femmes sont victimes de violences domestiques, la condition des Khasi est-elle à envier ? « Au contraire. Parce que l’on appartient à une société matrilinéaire, les gens croient que l’on est privilégié. Mais c’est faux », répond Hasinah Kharbih, directrice de l’organisation non gouvernementale Impulse Network, qui ajoute que les décisions d’une Khasie doivent obtenir l’aval de son oncle maternel.

Le système matrilinéaire n’est pas à confondre avec le matriarcat et les femmes khasies n’ont jamais détenu le pouvoir. Les anciens rois de la tribu laissaient leurs trônes… au fils de leur soeur cadette. Depuis l’indépendance de l’Etat du Meghalaya, en 1972, les ministres en chef ont tous été des hommes. Et les conseils de village comprennent peu de femmes. « Les dernières de la fratrie sont confinées à des rôles domestiques et condamnées à rester la maison », témoigne Hasinah Kharbih.

Mais Kaith Pariat, qui rêve justement de voir un jour les hommes khasis materner leurs enfants, n’est pas prêt à abandonner son combat. Il revendique 1 000 membres dans son association, dont beaucoup d’hommes influents, qui gardent l’anonymat par crainte d’être ostracisés par la société et par leur belle famille. L’association compte même des femmes, dont la plupart sont des mères originaires du Bengale occidental, l’Etat voisin. « Elles redoutent de voir leurs fils céder à la tentation des femmes khasies, et de tomber sous leur emprise  », explique ce militant de la cause masculine.

Meghalaya – où les femmes mènent le jeu

Par Carol Aloysius en reportage à Guwahati, Assam.

Selon l’enquête nationale de santé de la famille de l’Inde, Meghalaya est l’endroit où les parents ont montré le moindre intérêt d’avoir un enfant masculin : 73 pour cent de moins que la moyenne nationale. La préférence pour un fils peut être considéré comme la tendance dominante dans la majeure partie de l’Inde où les filles sont vues comme un fardeau, avec pour résultat le massacre de centaines de fœtus femelles. Mais dans une contrée éloignée, l’État de Meghalaya au Nord Est, à trois heures de route de Guwahati dans l’état d’Assam, les parents prient pour avoir une fille au lieu d’un fils. Dans cet état tribal matriarcal c’est les femmes qui mènent le jeu, comme propriétaires et décideuses dans les affaires. Dans presque chaque ménage, c’est les femmes qui sortent pour travailler et sont salariées, alors que leurs hommes restent à la maison et s’occupent des enfants.

Ce rôle prééminent des femmes est fortement évident dans les collines de Khasi où les Khasis, une communauté dont on dit que qu’elle a ses origines au Kampuchea, forment une société matrilinéaire. Les Khasi et la tribu Janatia de Meghalaya donnent tellement valeur à leurs filles qu’ils leur laissent toute leur propriété héréditaire plutôt qu’à leurs fils. Ironiquement, la gardienne de la propriété de famille est « Ka Khadduh » – la plus jeune fille qui assume ainsi le rôle le plus important dans la société. Les enfants nés dans une famille de Khasi assument également les titres de leur mère plutôt que ceux leur père. « il n’y a aucune question de dot parce que nous héritons de toute la propriété héréditaire », dit Drupathy un fournisseur de cigarette que nous avons trouvé dans la ville principale.

Les femmes de Meghalaya font tourner les entreprises familiales, dominent les ménages et prennent toutes les décisions concernant la famille. J’ai découvert l’évidence de ces faits lors d’une visite récente à cet État du Nord-Est, en compagnie de plusieurs journalistes du Sri Lanka et de l’Inde pour assister aux 26èmes sessions plénières des journalistes de la fédération indienne (IFWJ) à Guwahati, dans l’état d’Assam. « Nous des femmes qui prenons toutes les décisions dans la famille. Cela inclut de décider à quelles écoles devront aller nos enfants, ou comment nous devrions dépenser notre revenu familial ou même une décision apparemment sans importance comme visiter un village voisin. Rien ne se produit dans la famille sans notre connaissance et notre permission  » indique Lakshmi une femme d’affaires.

J’ai rencontré Lakshmi sur la crête pittoresque de Shillong (Shillong est le capital de Meghalaya) qui donne le point de vue le plus stupéfiant sur la ville entière à 1496 mètres au-dessus du niveau de la mer. Pendant les cinq dernières années, cette mère de trois enfants dit qu’elle avait effectué des affaires lucratives en vendant des objets façonnés aux visiteurs qui fréquentent la crête – sa boutique d’artisanat est le seule sur cette crête de montagne. Montrant le vaste espace empli de boîtes en bambou délicatement découpé, les bijou en forme d’éléphants, les miroirs en bambou et des « placemats » de jute parmi une douzaine d’autres beaux ornements qui étaient parmi les plus demandés par des visiteurs de la crête, elle dit : « j’ai fait ces derniers moi-même ». Je lui ai demandé comment elle a trouvé le temps de faire autant d’articles complexes, découpés tout en étant une mère de trois enfants d’âge préscolaire. Elle haussa les épaules et répondit : « mon mari s’occupe des enfants. Cela ne pose aucun problème. Il m’aide également à faire ces objets façonnés après qu’il ait fini de faire les travaux domestiques et ait mis les enfants à dormir « .

Oui, Meghalaya est assurément un monde de femme. Dans cette capitale de l’État, accidentée il est courant de trouver une femme derrière un un étal de cigarette ou des femmes vendant de la viande de bœuf dans de minuscule installations le long des collines. Ou encore des femmes effectuant une vente de légumes frais, de maïs et de fruits dans des étals creusées dans la montagne. Même dans la ville principale de Shillong, les femmes étaient partout en position de ligne de front, dans les banques, dans les écoles, et même au parlement. Quant à leurs hommes, la plupart d’entre eux pouvaient flâner sur le bord de la route jouant aux cartes ou berçant un enfant en bas âge dans leurs bras, tout en accompagnant un enfant plus âgé à l’école. Revathty une vendeuse de bœuf dans un minuscule marché de viande bovine en bas de la colline m’indique, « j’aime plutôt faire ce travail que reste à la maison et m’occupe de mes quatre gosses. De cette façon que je fréquente des gens. Mon mari fait un bon travail en prenant soin des gosses, que puis- je demander de plus ? ».

Les fils n’obtiennent pratiquement rien en raison de cette préférence forte des filles. Mais cela ne signifie pas que les hommes de cette ville tribale nordique sont content avec leur sort. Selon Peter (95 pour cent des résidents sont des chrétiens, par conséquent le nom de baptême est chrétien) un homme au foyer dont l’épouse travaille à plein temps dans leurs affaires de famille en vendant des légumes et des fruits, exprimant l’opinion de la plupart de ses collègues « nous pensons qu’il est injuste que les femmes ont toute la puissance et nous, nous n’avons rien. Nous n’avons aucun rôle à jouer excepté pour changer les couches et pour nourrir les bébés. Certains de mes amis ont commencé boire et prendre des drogues parce que nous sommes frustrés. Nous estimons que nous aussi pouvons apporter une contribution utile à la société. Après tout nous avons aussi nos droits. »

Selon un article publié dans un journal du Bhoutan, sous le titre « La domination des femmes menacée », un mouvement de libération des hommes baptisé Symbai Rimbai Tong Hai a vu le jour il y a six ans dans le Meghalaya. Dirigé par Ablemann Swser jusqu’à sa mort, il y a deux ans, il revendique des droits de propriété pour les enfants de sexe masculin et un plus grand rôle pour les hommes au sein de la famille. Ce mouvement s’est toutefois trouvé confronté à l’opposition non seulement des femmes, mais de la société tout entière. « Personne ne nous prend au sérieux », déplore John lyngdoh, son dirigeant actuel. Dans le même journal, Angela Rangsad, de North East Network, une ONG implantée dans le Meghalaya, soutient de son côté que, même si la société des Khasi et des Jaintia reste matriarcale, les valeurs patriarcales sont en train de gagner du terrain. « Les femmes sont victimes d’une plus grande violence au sein du couple. C’est le signe que les hommes commencent à affirmer leur autorité », dit-elle. Les femmes du Meghalaya craignent que leurs maris ne soient influencés par le statut dont les hommes jouissent dans les autres Etats, où ils continuent à jouer le rôle de chef de famille. Les films commerciaux de Bombay ont également un impact sur la population du Meghalaya, où la situation est en train de changer lentement mais sûrement en faveur des hommes. Mais, malgré l’opposition manifestée par ces derniers, le Meghalaya reste l’un des rares bastions du pouvoir des femmes en Inde, un pays largement dominé par les hommes.

Les hommes ont bien accepté leur sort jusqu’à il y a sept ans. A l’époque, la région a été branchée sur le satellite télé. L’influence des films de Bollywood et de la culture indienne très patriarcale a créé des remous. Les hommes ont fondé des mouvements masculinistes. « Il est injuste que les femmes aient toute la puissance, et nous, rien, explique au Sunday Observer un de leurs leaders. Nous n’avons aucun rôle a jouer, excepté changer les couches et nourrir les bébés. Certains de mes amis ont commencé à boire et à prendre des drogues parce qu’ils sont frustrés. » Comme les femmes en Occident, les hommes du Meghalaya se heurtent à un mur d’opposition. « Personne ne nous prend au sérieux », se plaint le porte-parole d’un groupe masculin de libération. Les hommes exigent l’égalité, un plus grand rôle pour eux dans la famille et des droits de propriété égaux pour un enfant de sexe masculin. Ici, ce sont en effet les filles qui héritent. Shillong, dans le petit Etat du Meghalaya, au Nord-Est de l’Inde, les femmes sont partout : derrière les comptoirs des magasins, dans la rue en train de se rendre à leur travail ou de faire leurs achats, entre amies dans les restaurants… Pour qui a déjà voyagé sur le sous-continent, le contraste avec le reste du pays est frappant.
 Michael Syiem est l’un de ces activistes. Ce quadragénaire milite avec sa petite formation Maitshaphrang (signifiant « pour continuer la lutte » en khasi) en faveur d’une organisation patrilinéaire. « Nous vivons dans un système très frustrant pour les hommes », avance-t-il.« Par exemple, les banques refusent d’accorder des prêts aux hommes parce qu’ils ne disposent pas de propriété en propre. Beaucoup se sentent inutiles et se réfugient dans l’alcoolisme. Psychologiquement, c’est comme si vous n’étiez personne ».
« Pourtant, le système ne présente pas que des avantages pour les femmes. Etre khaddhu implique aussi de lourdes responsabilités », souligne Enid, une femme khasi d’une cinquantaine d’années. Khaddhu d’un milieu privilégié, elle a dû mettre sa carrière de professeur entre parenthèses pour s’occuper elle-même de sa mère vieillissante. Se soustraire à cette obligation serait revenu à trahir son statut auprès de son « clan », la subdivision de la société khasià laquelle elle appartient. Toutefois, Enid ne souhaite pas que les principes matrilinéaires soient abandonnés. « Il s’agit des racines de notre culture. Les changer déstabiliserait les fondements de notre société », témoigne t-elle.