Matriarcat germain pré-aryen : la femme guerrière et prêtresse face à l’empire romain

Brunehilde walkyrieNom donné par les Romains aux peuples de race teutonique, qui sont devenus les Allemands modernes. Les invasions barbares qui suivent la chute de l’Empire romain d’Occident voient affluer des peuples; comme les Burgondes où « la succession se faisait non point de père en fils mais sur désignation de la mère en faveur de tous ses fils, quels qu’en soit le père, légitimes ou non. » –  Michel Rouche, « Clotilde, femme, reine et sainte », in Le Figaro magazine, 10 juillet 2010, page 78.

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Des femmes guerrières et prophétesses

Ainsi que les Valkyries des Scandinaves, la femme germaine accompagne le guerrier sur le champ de bataille, enflamme son courage, l’aide dans la mêlée, le relève s’il est blessé et le soigne. Son assistance est si appréciée que, d’après Tacite (historien romain, 55-120 ap-JC), les Bataves (tribu germanique antique), qui se révoltèrent sous la conduite de Civilis, prenaient en pitié les soldats romains parce qu’ils n’étaient pas accompagnés de leurs femmes lorsqu’ils marchaient au combat. Le philosophe grec Platon, initié aux Mystères d’Eleusis (survivance de cultes matriarcaux), était plus instruit des mœurs primitives qu’on ne pense, fait les femmes assister aux batailles des guerriers de sa République. Les Germaines assistaient aux batailles, excitant les guerriers par leurs cris, ramenant à la mêlée ceux qui lâchaient pied, comptant et pansant les blessures. Les Germains ne dédaignaient pas de les consulter et de suivre leurs conseils. Ils redoutaient plus vivement la captivité pour leurs femmes que pour eux-mêmes. Ces barbares croyaient qu’ils y avait en elles quelque chose de saint et de prophétique, sanctum aliquid et providum.

La famille germaine avunculaire

Les romains pensaient que les germains étaient un peuple incestueux,  quand les hommes vivaient avec leur sœur, et élevaient leurs neveux :

« Chez les Germains, dit Tacite, l’enfant d’une sœur est aussi cher à son oncle qu’à son père. Quelques-uns même estiment ce degré de consanguinité plus saint et plus étroit ; et en recevant des otages, ils préfèrent des neveux, comme inspirant un attachement plus fort et intéressant davantage la famille ».

Cependant les Germains que décrit l’historien latin étaient déjà entrés dans la forme familiale paternelle, puisque les enfants héritaient de leur père ; mais ils conservaient encore les sentiments et certains usages de la famille maternelle. Ne dit-on pas « cousins germains » pour désigner les cousins du même germe maternel ?

Patriarcat germain : le rituel de la reconnaissance de paternité

Pour être admis dans la communauté du sang paternel

Dans les traditions aryennes des anciens germains, la seule naissance d’un bébé ne faisait pas automatiquement de celui-ci un membre de la communauté paternelle. Le nouveau-né devenait membre de la famille et du clan une fois qu’il était passé par un certain rite lié au culte de Frigga, l’épouse du Dieu-Père Wodan-Odin et protectrice des naissances.

Quand le père donne la vie et le nom

L’enfant était d’abord déposé sur le sol par la mère et présenté au père. Aussitôt après le bébé était élevé par la mère dans les airs, le mettant ainsi sous la protection de Frigga. La mère déposait ensuite l’enfant sur les genoux du père (Schoßsetzung). Il était alors aspergé avec de l’eau. Comme symbole de l’origine de la vie (liquide amniotique), l’eau était ici l’élément sacré qui permettait l’introduction officielle du nouveau-né dans le clan paternel. C’était comme une seconde naissance, celle où le père, et non la mère, donne la vie. C’est à ce moment là que l’enfant recevait un nom par son père. À partir de là, le bébé devenait un membre à part entière de la communauté du « sang paternel ». Il était coutume de donner le nom du grand-père, et si ce dernier était mort, on donnait alors le nom du père. On marquait par là la continuité de la lignée paternelle.

L’abandon des bâtards illégitimes

Tant que l’enfant n’était pas passé par les différents phases de ce rituel (présentation de l’enfant, pose sur les genoux du père, initiation par l’eau, don du nom), l’enfant pouvait être abandonné. Si l’enfant était issu d’une liaison adultère, il pouvait alors être abandonné sans plus.

La femme viking : des vestiges de l’ordre matriarcal

La société viking est « viriliste » et patriarcale mais comme le viking s’en allait plusieurs mois, la ferme était sous la responsabilité de la femme, la húsfreyja, qui veillait à la bonne marche de tout. Elle était souveraine innan stokks hýbýli (« enceinte sacrée du domicile ») et l’homme útan stokks (« à l’extérieur »). La femme viking contrairement à ses « cousines » européennes, jouissait d’un prestige évident. Elle assurait la pérennité des usages, des institutions, et l’instruction des enfants. Elle était la gardienne des traditions familiales, et finissait par être l’incarnation et l’honneur de son clan. Elle était plus souvent que l’homme, sorcière ou magicienne. Il arrivait parfois que la femme participe aux expéditions vikings, avec ou sans ses enfants.

Les hommes étaient polygames. L’épouse en titre se reconnaissait aux clefs des coffres qu’elle portait à sa ceinture, elle avait les cheveux relevés en chignon pour manifester sa dignité, elle était la seule à diriger parmi les concubines. Pour faire valoir des droits à l’une des concubines, il était indispensable que leur « amant » l’ait reconnu officiellement, ce qu’il faisait très rarement pour éviter de déséquilibrer le clan et tous conflits d’héritage.

Mariage à l’essai consentant

Les viking pratiquaient le mariage à l’essai (fiançailles ou heiktona). La femme avait le droit de refuser l’époux qu’on lui proposait. La mariée pouvait demander le divorce ou la séparation et demeurait propriétaire de sa dot et du douaire. Une offrande était faite à Frigg (la Déesse Mère) pour appeler sur les époux le bien-être, la fertilité-fécondité et la paix, et à Freyr dieu du bonheur du plaisir et des biens. L’union était consacrée « til árs ok fridar » pour une année féconde et pour la paix.

Des armées d’amazones nordiques

La skjaldmö est un terme en vieux norrois qui désigne une jeune femme guerrière armée d’un bouclier dans la mythologie nordique. Le mythe de la walkyrie est fondé sur l’épopée des skjaldmös. Les skjaldmös ne sont pas sans rappeler le mythe grec des amazones. La Saga de Hervor et du roi Heidrekr décrit ces femmes combattantes et notamment l’héroïne de cette saga, Hervor et sa mort. La Gesta Danorum (la Geste des Danois) raconte le déroulement de la bataille de Brávellir au cours de laquelle plusieurs centaines de skjaldmös participèrent au combat. Les femmes guerrières skjaldmös apparaissent également dans les récits légendaires chez les Goths, les Cimbres et les Marcomans.

Aristocratie patriarcale et paysannerie matriarcale ?

Le droit maternel (l’enfant appartient à la mère et non au père) favorise les femmes guerrières : celles-ci ont ainsi les moyens de défendre leurs droits naturels sur leur corps et leurs enfants. Cependant, la société viking était de droit paternel (patriarcat), du moins, dans l’aristocratie, ce qu’on ne peut vérifier dans les classes sociales plus basses, qui étaient probablement régies par le droit maternel (matriarcat), car vénérant plutôt les divinités Vanirs de l’ère sans père ni mari, où l’oncle maternel jouait un rôle important.

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Femme médecin et prêtresse

Homme ou femme pouvait être médecin « loeknir ». La magie et la sorcellerie étaient exercées strictement par les femmes. Les sorciers masculins étaient considérés comme homosexuels (passifs) ce qui avait une connotation très négative de déshonneur, de couardise et non-virilité dans la société viking. Le recourt aux magiciennes et aux sorcières était un moyen de questionner les esprits et de s’en servir pour exécuter les ordres du sorcier.

La völva, l’autorité spirituelle absolue

Les anciens Germains appelaient völvavalawala (Vieux haut-allemand), seiðkonaspákona (norrois), spaewife ou wicce (vieil anglais) les prêtresses et prophétesses. Elles sont des personnages récurrents de la Mythologie germanique. Dans la société scandinave ancienne, la völva était une femme âgée ayant rompu avec les pesantes attaches familiales qui étaient le lot des femmes dans cette civilisation clanique. Elle errait à travers le pays, suivie traditionnellement d’un aréopage de jeunes gens. On faisait appel à ses services dans les situations graves. Son autorité était absolue et elle était largement rémunérée pour ses services.

Des femmes shamanes

Les völvas, entre autres disciplines ésotériques traditionnelles, pratiquaient le seydr (chamanisme), le spá (l’enchantement) et le galdr (la divination). Le seydr, en particulier, exigeait en principe l’ ergi (la féminité), bien qu’il ait eu quelques adeptes mâles, les seiðmaðr (ou Wicca en vieil anglais). Spákona est un vocable vieux norrois désignant une femme qui s’adonne aux spæ ou au spá, c’est-à-dire à la prophétie ou à la prédiction de l’avenir. Les hommes pratiquant cette dernière discipline étaient appelés spámaðr.

Une œuvre de Freyja, déesse-mère des Vanir (matriarcat)

Le Seiðr, qui signifie littéralement « bouillonnement, effervescence », désigne un ensemble de pratiques shamaniques propres aux religions nordiques. Le Seiðr est, dans la mythologie nordique, l’initiation chamanique que Freyja apprit aux Ases, dont seul Odin serait devenu un maître. Cette forme de chamanisme serait si épuisante qu’il est « honteux pour un homme de la pratiquer parfaitement ». Le Seiðr est mentionné dans la Gylfaginning.

Un activité plutôt réservée aux femmes

Le Seiðr implique la transe et vise à percer les desseins des Nornes (déesses du destin) afin de connaître le destin (Wyrd ou Örlog), ou pour changer le shaman en animal. Dans la légende, c’est Freyja qui enseigna cette magie aux Ases. Si on en croit la Lokasenna (texte où Loki calomnie les dieux jusqu’à l’intervention de Thor), la Seiðr était une activité magique plutôt réservée aux femmes, mais qu’Odin pratiquait assidûment.

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Le chant de la prophétesse

Selon la mythologie et les récits historiques, les völvas étaient censées posséder des pouvoirs tels qu’Odin lui-même, le père des dieux, faisait appel à leurs services pour connaître l’avenir des dieux : c’est notamment ce que rapporte la Völuspá, dont le titre lui-même, « völv-s-spá », se traduit par « chant de la prophétesse ». Parmi les plus célèbres völvas de la littérature scandinave, il y a lieu de citer la Heidi de la Völuspá et la sorcière Gróa du lai de Svipdag (Svipdagsmál).

Droit de véto et juges de guerre

Les premières mentions de ces prophétesses germaniques nous viennent des historiens latins évoquant l’exode des Cimbres : sous la plume de Tacite, ces « prêtresses » sont des femmes âgées ; elles sont vêtues de blanc. Elles immolent les prisonniers de guerre et consacrent le sang versé (cérémonie dite Blót), fluide indispensable à la divination.

Dans ses Commentaires sur la Guerre des Gaules Jules César, à propos de la lutte contre le chef germain Arioviste (58 av. J. Chr.), écrit ceci :

« Lorsque César demanda aux prisonniers pourquoi Arioviste n’avait pas livré un combat à outrance, il apprit que la raison en était la suivante : c’était chez les Germains une coutume que les mères de famille décident, après avoir consulté les signes et rendu les oracles, s’il convenait ou non d’engager un combat ; or elles disaient que le destin ne permettrait pas aux Germains de vaincre, s’ils engageaient le combat avant la nouvelle lune. »

— Commentaires sur la Guerre des Gaules, livre 1, ch. 50

Tacite décrit également les prophétesses des Germains dans ses Histoires (livre 4, chap. 61), et notamment une certaine Veleda:

[…] usage ancien chez eux, les Germains attribuaient le don de prophétie aux femmes, et même, la superstition se développant, un statut divin.

Jordanès fait état dans ses Gétiques (XXIV:121) de völvas Gothes appelées Aliorumnas. Elles furent exilées sur ordre du roi Filimer, lorsque les Goths se sédentarisèrent à Ojum (Ukraine). Ce nom est sans doute une corruption du gotique Halju-runnos, c’est-à-dire catabantes ou « celles qui descendent aux Enfers » (allusion aux transes des chamans). Ces völvas trouvèrent refuge chez les Huns.

Une description détaillée d’un sacrifice humain par une völva est due au diplomate arabe Ahmad ibn Fadlan qui raconte une de ses missions auprès des Bulgares de la Volga en 921 : au cours des funérailles d’un chef varègue, une esclave se sacrifie pour être inhumée avec son maître. Après dix jours de festivités, elle est poignardée par une prêtresse (le diplomate arabe l’appelle Ange de la mort) puis son corps est incinéré avec celui de son maître dans un navire.

Éradiquées par le christianisme

La disparition des prophétesses germaniques est liée à la christianisation : l’Église catholique romaine, l’Église d’Angleterre, l’Église Luthérienne et l’Église Réformée, secondées en cela par les autorités civiles, prirent diverses mesures à leur encontre, comme le montre cet extrait du Droit canon :

« Toute sorcière, toute conjureuse, tout nécroman ou toute prostituée manifestement infectée trouvée sur le territoire sera expulsée. »

« Nous demandons à chaque prêtre d’éradiquer le paganisme et d’interdire la wilweorthunga (culte des sources), la licwiglunga (nécromancie), la hwata (divination), la galdra (magie), l’idolâtrie et toutes les abominations pratiquées par les hommes comme sorcellerie, et frithspottum (culte des bosquets) avec des ormes et autres arbres, des alignements de pierre, et toute sorte de fantômes. »

Elles furent persécutées au cours de la Christianisation, qui conduisit d’ailleurs à un confinement extrême du rôle des femmes dans les sociétés germaniques.

La prêtresse aux serpents

Voici une pierre qui fut trouvée sur l’île suédoise de Gotland. Elle fut datée aux alentours de 500 de notre ère. Elle est entourée de mystères car aucune inscription runique ne l’accompagne, ce qui aurait pu donner une indication plus détallée sur sa signification.

Cette pierre présente deux symboles majeurs:
– un splendide triskell formé à partir de serpents entrelacés
– une figure humaine tenant deux serpents dans ses mains

Il ressort clairement que le serpent est ici la figure symbolique majeure. Ensuite il y a cette figure humaine assise, les jambes écartées, portant une espèce de coiffe formant comme deux cornes, et entourée de serpents. Cette figure humaine (ou divine) est appelée par les anglo-saxons the snake-witch, la sorcière aux serpents. Il serait en effet bien possible que nous soyons là en présence d’une rare représentation d’une Völva, une prêtresse-magicienne. Ces Völva étaient très présentes dans le cadre culturel et religieux du monde nordico-germanique. Ces « sorcières » n’étaient pas du tout des êtres maléfiques, contrairement à la connotation judéo-chrétienne du terme « sorcière », mais elles étaient véritablement des magiciennes, des « wise women » qui possédaient bien des secrets venus de la nuit des temps. Les jambes écartées de la Völva pourraient suggérer un rituel lié à la fécondité ou la fertilité.

La barbarie pour sauver la civilisation

« S’ils révolutionnèrent la forme antique de la monogamie, s’ils adoucirent la domination de l’homme dans la famille, s’ils donnèrent à la femme une situation plus élevée que n’en avait jamais connu le monde classique, qu’est-ce qui les rendait capables de le faire, sinon leur barbarie, leurs coutumes gentilices, les legs encore vivants de l’époque du droit maternel ? 

Tout ce que les Germains inoculèrent au monde romain de force vitale et de ferment vivifiant était barbarie. En fait, seuls des barbares sont capables de rajeunir un monde qui souffre de civilisation agonisante. Et le stade supérieur de la barbarie, vers lequel et dans lequel avaient évolué les Germains avant les grandes invasions, était justement le plus favorable à ce processus. Cela explique tout. »

L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat – Friedrich Engels
La formation de l’État chez les germains