Le matricide d’Oreste et l’amour puni de mort par les Horaces

Les récits d’Oreste et des Horaces révèlent l’anéantissement du droit maternel, par la diabolisation, le meurtre, et l’asservissement de la mère.

Le matricide d’Oreste et sa légitimation

Oreste, meurtrier de sa mère, poursuivi par les EryniesL’Orestie du tragédien Eschyle rapporte le récit de la Guerre de Troie qui se déroule durant l’avènement du patriarcat. C’est le fils qui tue sa mère, qui a tué son époux, qui a tué sa fille. La malédiction des Atrides commence par le sacrifice d’Iphigénie, fille d’Agamemnon pour obtenir un vent favorable et apaiser Artémis. Au moment du sacrifice, Artémis l’aurait remplacée in extremis par une biche, afin de la préserver de la folie des hommes, et en aurait fait la prêtresse de son temple en Tauride (Illiade). Oreste tue sa mère pour venger son père. Avec le nouvel ordre patrilinéaire, il n’est plus du sang de sa mère, mais est désormais du sang de son père. Il est poursuivi par les anciennes déesses matriarcales pré-olympiennes de la justice, les Erinyes.

Visionnez L’Orestie d’Eschyle interprété au théâtre :

Extraits de Le matriarcat, étude sur les origines de la famille (1886) de Paul Lafargue

Apollon porte le coup décisif pour défendre le meurtrier ; il attaque la femme dans sa fonction essentielle, celle qui assurait sa supériorité, dans sa fonction maternelle :

« Ce n’est pas la mère qui engendre ce qu’on appelle son enfant, argumente-t-il ; elle n’est que la nourrice du germe versé dans son sein ; celui qui engendre, c’est le père. La femme, comme un dépositaire étranger reçoit d’autrui le germe ; et quand il plaît aux dieux, elle le conserve. La preuve de ce que j’avance, c’est qu’on peut devenir père sans qu’il y ait besoin d’une mère ; témoin cette déesse, la fille de Zeus, du roi de l’Olympe. Elle n’a point été nourrie dans les ténèbres du sein maternel et quelle déesse eût produit un pareil rejeton ? » – Apollon à propos d’Athéna

Athéna, traîtresse et fille sans mère de Zeus, acquitte Oreste au nom du nouveau « droit du sang paternel ».

« Je n’ai pas de mère à qui je doive la vie ; ce que je favorise partout c’est le sexe viril… Je suis complètement pour la cause du père. Je ne puis donc m’intéresser au sort de la femme, qui a tué son époux, le maître de la maison. » – Athéna

L’amour puni de mort par les Horaces

D’après la légende rapportée par Tite-Live, l’histoire des Horaces se déroule durant l’époque des rois de Rome, quand Rome et Albe-la-Longue sont en guerre. Les frères Horace affrontent les frères Curiace, et les tuent. Mais Camille, la soeur des Horaces est amoureuse d’un défunt Curiace. Pris de colère par cette traîtrise, l’un des frères Horace tue sa propre soeur. Condamné à mort selon l’antique loi du sang maternel, il est désormais acquitté par la nouvelle loi du sang paternel, par le roi, son père…

Le sorocide de Camille, ou le « dilemme cornélien ».

Dans la Scienza NuovaGiambattista Vico (philosophe italien du 17e siècle) insiste sur la promiscuité primitive, et base l’établissement du patriarcat à Rome et sa séparation de la plèbe sur la différence de la forme de mariage. Les patriciens antiques (aristocratie, élite oligarchique) pouvaient nommer leur père patrem ciere ; tandis que les plébéiens (peuple), qui conservaient encore la généalogie maternelle, ne connaissaient pas leur père. C’est pourquoi les cultes des déesses-mères étaient si populaires dans l’empire romain : Isis, Artémis, Cybèle, Magna Mater…

En écrivant sa pièce « Horace » en 1640, Corneille a repris un thème qui a traversé l’histoire de la culture occidentale depuis l’antiquité. A cette époque (selon la tradition, sous le 3e roi de Rome, 673 – 641 av. J-C.), la famille patriarcale n’était pas encore bien implantée, et la société était organisée en clans familiaux qu’on appelle la gens. Le dilemme cornélien est celui de Camille, la sœur des trois frères Horace (Rome) qui sont en guerre (vendetta) contre les trois frères Curiace (Albe-la-Longue) en 667 av JC; alors qu’elle-même est amoureuse d’un des frères ennemis. Camille est donc partagée entre son amour pour ses frères et son amour pour le Curiace.

En fait, elle ne choisit pas. Et quand son amant est tué par son frère, elle pleure son bien-aimé et lui fait une sépulture. Elle maudit ensuite la victoire de sa famille. En voyant cela, son frère, qui lui, n’a pas du tout de « dilemme cornélien » la tue.  »Qu’ainsi périsse toute Romaine pleurant un ennemi ». C’est donc lui le traitre à son sang et à son lignage… En général, les analystes ne vont pas plus loin, mais en réalité, c est la suite de cet évènement qui est significative du changement de civilisation qui s’opère alors… Ayant versé son propre propre sang, Horace, selon l’ancienne Loi aurait être dû mis a mort dans les pires tortures… Mais il est gracié… par qui ? par son père ! qui est roi… La boucle est bouclée.

Visionnez Horace (Corneille), acte IV scène 5 interprété au théâtre :